Avec La Voix d’Aïda, la réalisatrice Jasmila Žbanić signe un drame puissant sur l’un des événements les plus obscurs de l’histoire européenne contemporaine : le massacre de Srebrenica. En salles mercredi 22 septembre.

Tous les regards sont tournés vers elle : dans le salon familial, son mari Nihad et leurs deux fils désormais adultes, Hamdija et Sejo, observent en silence Aïda, le regard perdu dans le vide et le souffle lourd. Plus tard, près du camp de l’ONU, des milliers de réfugiés attendront les consignes scandées par Aïda. Car elle est avant tout une voix que l’on écoute avec attention et inquiétude : interprète auprès de l’ONU à Srebrenica, en 1995, pendant la guerre de Bosnie, elle s’avère être le principal relais entre les casques bleus hollandais et les autorités bosniaques, puis entre l’ONU et les soldats serbes qui ont envahi la ville, menés par le général Mladić.

Bien qu’elle se situe aux premières loges où se décide le sort de Srebrenica, elle n’a pourtant pas son mot à dire sur les opérations en cours : la tragédie d’Aïda n’est d’être qu’une voix qui traduit et transmet un message, sans pouvoir en altérer le contenu. Résignée, présageant le désastre à venir, Aïda ne peut pas avertir ses concitoyens du danger qu’ils encourent, ni leur ouvrir les portes de la précieuse enclave onusienne qui leur garantirait une protection. À plusieurs reprises, la réalisatrice filme ses discrètes absences, son regard qui s’éteint pour se remémorer la vie d’avant-guerre, comme cette soirée festive où des hommes et des femmes dansaient en cercle, filmés à l’aide d’un ralenti qui les plongeait dans une soudaine mélancolie, peut-être le pressentiment d’une guerre imminente.

En plus d’être une voix, Aïda est aussi un corps : à ce titre, la réalisatrice cadre au plus près la traductrice qui virevolte dans le dédale du camp onusien, filmé comme un labyrinthe tortueux qui rend impossible toute action. Aïda court, s’élance, serpente parmi la foule, fait des allers-retours incessants, et brave les interdits au sein du camp pour mettre à l’abri sa famille. Cette puissance d’un corps frénétique et tumultueux tient en grande partie à la formidable interprétation de l’actrice Jasna Đuričić qui donne chair à ce personnage qui se débat avec fureur pour protéger les siens. L’urgence dicte à Aïda, pourtant vieillissante, une énergie démesurée : toute l’agilité de Žbanić consiste à suivre Aïda dans son improvisation permanente lorsqu’elle négocie, s’emporte, cache sa famille, intransigeante et autoritaire.

Parfois, la caméra s’égare pour filmer la hardiesse des autres femmes de Srebrenica, qui tentent tout pour protéger leur famille. Car au-delà des huit mille hommes qui ont été tués en raison de leur identité bosniaque et musulmane, l’autre versant du génocide de Srebrenica, c’est la douleur des femmes qui ont perdu leurs proches sans pouvoir agir et auxquelles le film est dédié. Mais si Aïda peine à faire bouger les lignes du réel, sa force et son imagination réussissent tout de même à les faire trembler.

La Voix d’Aïda de Jasmila Žbanić, avec Jasna Đuričić, Izudin Bajrovic, Boris Ler, condor Distribution, sortie le 22 septembre.

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