Au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne (MAMC+), Lionel Sabatté se fait naturaliste merveilleux, chaman des temps lointains. Une sensibilité des origines.

À l’âge de la Préhistoire, comment était cette trace brune apposée sur le mur de la grotte ? Image stylisée mais ô combien sensible, image bestiale, giron des origines de l’humanité. C’est dans un incessant aller-retour vers ces premiers émois mystérieux que Lionel Sabatté pense son art, sculptures composites qui font éclore des créatures animales dont la carrure rude et imposante évoque des espèces disparues. Ses peuples de silhouettes humaines, agenouillées, de ciment et de fer, celles qu’il nomme « Fragments », peinent à se mouvoir, comme encore figées dans une concrétion géologique millénaire. Au milieu de son grand atelier du Pré-Saint-Gervais, ces fossiles sculptés s’éveillent à peine, émouvants de maladresse et de dignité : « J’ai toujours été fasciné par l’histoire de l’évolution, par la Préhistoire et son art pariétal » explique-t-il en citant son installation dans la grotte de Bédeilhac en Ariège en 2019. Ses sculptures y fusionnent avec l’environnement rocheux. Ajoutant : « Ce qui me questionne, c’est l’histoire du chaînon manquant ». Quête utopique des origines, de l’archaïsme primitif qui imprègne ses déesses inachevées, souvenirs des Vénus préhistoriques. Tandis qu’à partir d’un phénomène d’oxydation sur plaques de métal, jaillissent des magmas en fusion, peintures magiques, promptes à mimer le chaos du monde dans une paréidolie de la matière. Leurs fonds dorés imposent une sacralité spontanée. Immenses retables du vivant, avant même qu’aucune religion n’ait éclos. 

« Eclosion », le maître-mot, titre de l’exposition de Saint-Etienne. Dès le hall d’entrée, un châtaignier mort de sécheresse, glané dans les environs stéphanois accueille le visiteur, refleuri avec de petites peaux mortes. Sabatté use subtilement de l’organique depuis ses débuts. Déjà en 2011, c’est sa ténébreuse Meute de loups de poussière, installée au Museum d’Histoire Naturelle de Paris, qui l’avait fait connaître. Agrégation de la poussière de nos pas, de nos cheveux, de la pollution de nos villes. Réactivation d’un primitivisme atavique aussi dans le spectre du loup. « Alberto m’a appris la sensibilité devant la poussière »disait Jean Genet d’Alberto Giacometti. Comme dans les œuvres du célèbre sculpteur, il y a quelque chose de l’infime merveilleux chez Sabatté, trahissant une tension entre ruine et renaissance. Mais dans la perspective d’une régénérescence du vivant. Son « éclosion » déploie des champs d’oiseaux métamorphosés en arbres, un bestiaire de poussière évanescent, des visages fantomatiques faits de cheveux et, au milieu de corps sculptés solitaires, un immense mur construit in situ « pensé comme une peau, une membrane autour de laquelle on déambule » dit-il. Encore une forme transitoire, frontière mais surtout lieu d’échange, embryon architectural. Cette éruption monumentale rappelle peut-être aussi le paysage volcanique de la Réunion, son île natale. Montagne, cratère, faille. L’artiste se fait démiurge et nous immerge au creux de cycles et de phénomènes naturels réinventés, mutations géologiques et minérales qui font danser la matière, créant de nouveaux paysages fantastiques, de nouveaux flux d’énergie. Symboliquement, ses œuvres touchent à la fois à notre animalité et à notre vivre-ensemble.

« Lionel Sabatté. Eclosion » du 18 septembre 2021 au 2 janvier 2022, au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (MAMC+) 

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