Après avoir boosté les Rencontres photographiques d’Arles, Sam Stourdzé a été nommé pour cinq ans à la tête de la Villa Médicis de Rome. Premier acte : le lancement en septembre d’un Festival de cinéma.

L’homme de marbre toise le visiteur qui gravit, intimidé, les marches de la Villa Médicis. Jean-Baptiste Colbert est chez lui puisque c’est à cet homme d’État (et au Bernin) que nous devons l’idée d’envoyer chaque année à Rome quelques artistes français méritants afin que ceux-ci se frottent aux merveilles de l’Antiquité. Enfin, à l’origine… Colbert pimente aujourd’hui les échanges entre pensionnaires dont certains demandent que son auguste statue soit mise au rancart pour avoir été l’initiateur du Code Noir sur l’esclavage. Le dîner servi dans les jardins en l’honneur de l’exposition de fin d’année des seize élèves n’échappe pas, par certains échanges animés, à la vogue cancel et woke, dite aussi cancelisme-wokisme. Colbert en enfer ? La rime est tentante mais Sam Stourdzé, le nouveau directeur de l’institution, lui-même ancien pensionnaire, préfère la mesure à l’anathème. « Ce sont des questions très contemporaines et légitimes. Le fait qu’on les pose ici montre à quel point l’Académie reste un lieu de discussions, de débats et de confrontations utiles. Mais faisons attention de ne pas succomber à l’immédiateté des réseaux sociaux. La facilité serait d’effacer tout ce qui gêne ou tout ce qui fâche. Les situations sont souvent un peu plus complexes que ça. Il faut être capable de replacer les choses dans leur contexte et laisser les historiens s’emparer de ces questions. Une fois qu’on fait disparaître une figure controversée, il n’y a plus de parole, c’est terminé. C’est la facilité. Bien sûr, on serait plus tranquille mais on n’a pas envie d’être tranquille ici. On est plutôt contents que la discussion existe ».

Vif, doué de clarté et d’une énergie évidente, Sam Stourdzé donne au premier abord une impression de prudence consensuelle moulée dans le langage administratif mais la parole se délie et se fait plus offensive et plus naturelle lorsque l’ancien démiurge des Rencontres photographiques d’Arles se voit confronté à ses propres positions et non pas aux sempiternelles questions sur la Villa, sa vie, son œuvre. Fils d’un sociologue et philosophe (auteur notamment d’une Autopsie d’une machine à laver), cet homme au visage juvénile a hérité de ce père un goût pour le paradoxe et une curiosité pour la perception du réel et du savoir. Sam Stourdzé acquiesce. « J’ai perdu mon père à l’âge de 14 ans. C’est effectivement très tôt mais je pense avoir reçu en héritage une forme d’exigence et peut-être aussi cette envie passionnée de prendre à contre-pied des territoires culturels archi balisés, de rechercher sans cesse où se logent les signes de nouveauté et d’invention ». Il y a chez cet homme du combattant policé mais qui ne laisse rien passer, comme si, à l’heure des injonctions contradictoires, il possédait l’art et la manière d’aborder autrement des choses qui peuvent paraître acquises en les poussant toujours plus loin. Longtemps heureuse thébaïde industrieuse des peintres et des sculpteurs, la Villa Médicis s’est ouverte depuis longtemps à d’autres disciplines créatives telles que la littérature, la vidéo ou l’image animée.

À peine arrivé, celui qui fut pensionnaire en 2007-2008 dans la section cinéma, a mis en chantier un projet qui lui tient à cœur : le lancement programmé pour septembre d’un festival de cinéma dans les murs du bâtiment. « Nous avons sélectionné quinze films traitant des relations entre cinéma et art contemporain qui seront projetés pendant cinq jours dans différents lieux de la Villa Médicis ». Mais plus précisément ? « Des films qui ne sont pas montrés ailleurs et qui seront soumis à un jury ; on aura tout autant des films d’artistes que des fictions ou des documentaires. Il y aura des formes très libres et d’autres plus classiques. Il est intéressant de relever que ces derniers temps, on a vu un certain nombre d’artistes s’emparer du format cinéma comme, par exemple d’anciens pensionnaires tels qu’Éric Baudelaire ou Clément Cogitore. Ou encore le Britannique Steve McQueen passé de formats expérimentaux aujourd’hui à des formes plus classiques. On assiste à une vraie évolution de ce milieu avec une mise en place par certains artistes de formes de production alternatives ou parallèles de production ». Un plaidoyer prometteur en faveur des rhizomes du 7e Art en perpétuelle mutation, à quelques kilomètres à vol d’oiseaux des légendaires studios de Cinecitta. Lorsqu’en quittant Sam Stourdzé, véloce, aérien et souriant, se dirigeant vers un autre rendez-vous professionnel, on contemple dans l’une des grandes salles, une galerie de portraits de fiers pensionnaires barbus, désormais morts et enterrés au champ d’honneur de l’oubli. Et l’on pense à ceux de notre temps qui passeront un jour la redoutable épreuve du temps. Une infime minorité, mais peu importe après tout. La Villa Médicis est là pour que les artistes, ces inventeurs de fables, puissent continuer de nous faire rêver, de nous déranger, de nous troubler, de nous plaire.

Festival de Film de la Villa Médicis : Cinéma et art contemporain du 15 au 19 septembre. Plus d’infos en suivant ce lien.

Et aussi : Exposition Toiletpaper & Martin Parr, du 2 juillet au 31 octobre.