Au théâtre de la Cité internationale à Paris, Alexandre Zef s’empare des mots de l’écrivain Natacha Appanah et esquisse le portrait entre ombre et lumière de jeunes migrants échoués à Mayotte. 

La mer à perte de vue, sur un kwassa ? Loin de l’idéal touristique, une jeune comorienne rêve d’Europe, de bonne fortune et vogue vers un avenir qu’elle espère meilleur. Le ventre rond, elle est sur le point d’accoucher. Rejetée sur le rivage de l’Océan Indien, elle achève son voyage à l’hôpital de Mamoudzou, où elle confie son fils Moïse à Marie, une infirmière venue de métropole, qui ne peut avoir d’enfant. Élevé à l’européenne, le jeune garçon grandit dans l’amour et la tendresse. Il n’a pas quinze ans quand sa mère d’adoption meurt d’un accident cérébral. Livré à lui-même, il n’a d’autres choix que d’errer dans les rues de la ville et de rejoindre les laissés pour compte, à Gaza, bidonville situé aux alentours de la préfecture mahoraise, où règne, en maître incontesté et craint, un adolescent se prenant pour Bruce Wayne, alias Batman. 

S’attachant à suivre le destin tragique de Moïse, à travers les récits croisés de quatre personnages qu’il rencontre tout au long de sa descente aux enfers, Natacha Appanah esquisse de sa plume ciselée la face sombre de Mayotte. Derrière les belles villas, les plages paradisiaques, un autre monde se dessine, dominé par les gangs, par une violence extrême, fruit de la précarité et d’une explosion migratoire. 

Avec poésie et ingéniosité, Alexandre Zef s’empare de cette matière noire, brutale et lui donne vie sur scène, sans forcer le trait. Dans une atmosphère ténébreuse, qu’il mâtine de musique – des compositions de la chanteuse Mia Delmaë et de la musicienne Yuko Oshima – , il cisèle les caractères, et permet aux comédiens d’accéder à un jeu nuancé et riche. S’appuyant sur la très belle scénographie îlienne imaginée par Benjamin Gabrié, il transforme la dure réalité des jeunes migrants de Mayotte en une sorte de songe éveillé, cauchemar émaillé d’instants fragiles à la beauté onirique. 

 Emportés par cette lame de fond funeste, Mexianou Medenou et Alexis Tieno, qui interprètent les deux frères ennemis, Moïse et Bruce Wayne, se livrent à corps perdu dans un pas de deux mortifère. Le texte vibrant de Natacha Appanah n’est que plus percutant. Une œuvre noire où tout le talent d’Alexandre Zef se révèle délicatement.

Tropique de la violence de Natacha Appanah. Mise en scène d’Alexandre Zef. Du 13 au 24 septembre 2021 au Théâtre de La Cité Internationale, puis en tournée.

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