Dans Chers camarades !, Konchalovsky raconte avec brio un épisode sanglant et méconnu de l’histoire de l’Union Soviétique. En salles mercredi 1er septembre.

Konchalovsky signe avec ce film, prix spécial du Jury à la Mostra de Venise 2020, son retour en Russie. Après le flamboyant Michel-Ange, il offre un film sec, en noir et blanc, qui suit pas à pas la quête d’une femme, une mère, dans la tourmente soviétique de 1962, lors d’un épisode oublié de l’ère Khrouchtchev. Liouda, membre du parti, attachée à Staline, doit faire face avec les autres membres du comité local à la révolte des ouvriers de l’usine de Novotcherkassk. L’armée est sommée de tirer sur la foule en grève. Or sa fille, Svetka, se trouve au milieu des tirs… Le film s’ouvre sur une Liouda se rhabillant après l’amour, avant de récupérer ses vivres et d’assister à des réunions du parti, autant de fausses pistes qui nous conduisent vers son dilemme. Qu’elle observe une chienne allaitant ses petits ou raconte au bord d’un lac la naissance de sa fille, Liouda se redécouvre mère. Au quotidien, elle doit se dépêcher de récupérer sa ration à l’épicerie, sans oublier le tabac pour son père, vieil officier qui revêt son costume du passé et récupère dans une malle une icône peinte avec laquelle il veut être enterré. Tout est affaire de croyances : croire en Dieu ou en Staline, en une idéologie soviétique qui n’en finit pas de s’effondrer.

Mais la déstalinisation est passée par là, les restrictions alimentaires font rage et la détresse du peuple est immense. Il faut mater les opposants puis s’en laver les mains. Comment cacher les traces de ce crime d’État ? En recouvrant le sang d’asphalte puisque ça ne part pas comme ça, en organisant un bal, en faisant signer des serments, en enfouissant les secrets comme les cadavres dans des fosses communes et en espérant que pas un orteil ne dépasse. Effacer pour mieux réécrire l’histoire, danser sur les taches de la tuerie pour remplacer les souvenirs des morts par des notes de musiques, se taire, cacher les plaies d’une Union Soviétique qui amorce sa chute. Konchalovsky nous révèle la grande histoire par le prisme de la petite, celle d’une femme dévouée au parti mais dont les positions politiques luttent avec son statut de mère, elle qui part en quête de sa fille quoi qu’il lui en coûte, s’opposant à ses propres convictions. C’est cette tragédie que le cinéaste donne à voir, c’est la fougue et la sauvagerie de celle qui est son épouse à la ville qu’il veut filmer. Les plans fixes et les cadres surprennent, cherchant à enfermer les êtres tout en leur offrant une issue. Les escaliers et les toits peuvent mener à un sniper aux ordres du KGB ou à une adolescente apeurée qui cherche à s’évader. Les lignes de fuite dessinent la possibilité pour les personnages de ne pas demeurer totalement prisonniers de leurs certitudes, une sorte d’échappatoire encore possible quand les certitudes entraînent les dirigeants droits dans le mur. Peut-être que la plus belle trouvaille du film se trouve là — au-delà de la tragédie individuelle en lutte avec l’intérêt collectif — dans ces échappées, ces issues de secours improvisées que chacun tente d’emprunter pour fuir la crise du sens et se forger un avenir.

Chers camarades ! d’Andrey Konchalovsky, avec Yuliya Vysotskaya, Potemkine Films, sortie le 1er septembre.

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