Du 17 au 20 juin dernier, un continent en accueillait autre : le festival Atlantide était africain. Transfuge y était.

Est-ce en raison du dôme bourgeonnant du Lieu Unique, de cet inattendu surgissement d’une pièce montée byzantine dans le ciel cyclothymique de Nantes, que j’époussette de vieux souvenirs grecs ? A moins que, plus sûrement, l’Afrique, thème de cette année – mais une Afrique indéfiniment reflétée dans les mille facettes du prismatique festival, une Afrique plus constellation que continent – ; à moins donc que cette Afrique démultipliée n’appelle, à l’image d’Atlantide, à multiplier les associations, les rapprochements ? Toujours est-il qu’une phrase de Philostrate me vient spontanément aux lèvres (spontanéité bien aidée, il faut dire, par le cocktail de bonhomie, d’exigence et d’euphorie dont Atlantide a le secret) : « Quiconque n’aime point représenter insulte la vérité et toute la sagesse de la poésie. »

Car c’est bien de cela qu’il s’agit, au carrefour de la vérité, de la sagesse et de la poésie, ou, pour parler en termes plus contemporains, de l’Histoire et de l’esthétique, du politique et du littéraire : représenter l’Afrique, les Afrique. En déployant ainsi toutes les harmoniques de cette étrange tâche, qui est celle de l’art – la représentation, justement. Non seulement décrasser l’œil et l’esprit des clichés, mais aussi trouver les mots, se délecter des formes et des phrases de l’impressionnante cohorte d’écrivains conviés par Alain Mabanckou : Fatima Daas, Louis-Philippe Dalembert, Charline Effah, Ousmane Diarra, Roukiata Ouedraogo…  Une ambition polymorphe qui animait la conversation, aux couleurs de Transfuge, où Fatima Daas, Eva Doumbia et Maboula Soumahoro ont pris, sans pincettes mais avec une précision dans la pensée qui n’avait d’égale que leur vigueur enjouée, la question si grosse d’autres questions des diasporas africaines. Et lorsque Géraldine Faladé et Roukiata Ouedraogo s’interrogeaient sur l’avenir de l’Afrique, la lucidité, l’engagement et l’humour formaient un détonant ménage à trois : là encore, la parole était polymorphe.

La parole, justement : c’est elle qui est, évidemment, au cœur des jeux de la représentation. Et Mohammed Aïssaoui, Fatima Daas et Asya Djoulaït l’ont déclinée dans toutes ses facettes, de son envers, le mutisme, à sa transmission et sa restitution. Charline Effah, avec qui Transfuge s’entretenait, a rappelé avec force le leitmotiv du festival : son roman La Danse de Pilar démontre qu’il n’y a pas de parole politique sans écriture poétique, et réciproquement. Elle faisait ainsi écho à Louis-Philippe Dalembert qui, aux côtés d’Ousmane Diarra et Roukiata Ouedraogo, évoquait la belle image du « bateau-monde » qui traverse son Mur Méditerranée. Mais c’est sans doute lors de la rituelle et hélas indispensable soirée contre la censure qu’a été le plus nettement scellée l’alliance de l’urgence et de la beauté, de la justesse formelle et de la justice, de l’engagement contemporain et de l’intemporalité de l’œuvre. Il n’était que d’écouter les mots d’Abdelaziz Baraka Sakin, de Toni Morrison ou encore de Christopher Okigbo.

Festival Atlantide. Les Mots du monde à Nantes. Festival des littératures, Nantes, du 17 au 20 juin

http://www.atlantide-festival.org/