Avec Le Clou, son premier roman à être traduit en français, Zhang Yueran se révèle comme une voix engagée de la littérature chinoise.


Roman des fantômes de la Révolution culturelle chinoise, Le Clou nous fait découvrir cette rentrée, en Zhang Yueran, une jeune écrivaine chinoise talentueuse. Une révélation que l’on doit à la traductrice Dominique Magny-Roux qui a cherché à publier en France cet épais roman de près de six cents pages et a frappé à la porte des éditions Zulma. À l’origine de ce Clou, il y a une nouvelle homonyme écrite par le père de Zhang Yueran quand il était jeune. « Lorsque je suis devenue écrivaine, mon père m’a parlé de cette nouvelle qu’il n’avait pas pu publier à l’époque parce que les éditeurs la trouvaient trop sombre. En la lisant, j’ai pensé que c’était comme un arbre qui avait poussé en moi. À partir de cette histoire, ce tronc, j’ai commencé à réfléchir à ce qu’est la Chine aujourd’hui et à son histoire » explique-t-elle.

La boîte de Pandore

À l’image de cette genèse, Le Clou mêle l’intime à l’histoire de la Chine à travers le dialogue de deux anciens amis, Li Jiaqi et Cheng Gong, âgés d’une trentaine d’années, qui se retrouvent dans la ville de leur enfance, Nanyan, après dix-huit ans sans s’être vuS. Un dialogue comme une boîte de Pandore qui s’ouvre, faisant rejaillir tous les maux enfouis dans les silences de deux familles chinoises à travers plusieurs générations. « Avec le développement de la Chine, les différentes générations ont connu des expériences très différentes, ce qui crée une distance qui ne permet pas de parler, détaille Zhang Yueran. Nos parents et grands-parents ont toujours cherché à ne pas parler des sujets graves, par conséquent les enfants ne les ont pas compris. » Si ce qu’elle décrit semble correspondre à la réalité d’une grande partie de la population chinoise, on se demande forcément quelle proximité l’auteure entretient avec ses deux personnages principaux nés, comme elle, dans les années 1980 lors de la politique de l’enfant unique, et particulièrement à celui de Li Jiaqi, jeune femme ayant quittée sa ville natale pour travailler à Pékin. « Il y a évidemment une projection autobiographique à travers Li Jiaqui, elle ressemble beaucoup à ce que j’ai vécu et à ce que je voulais être et faire lorsque j’étais jeune, reconnaît-elle. Nous sommes les enfants qui ont connu dans les années 1990 l’ouverture de la Chine et c’était comme si plutôt le monde s’ouvrait à nous. »

Le ralentissement

Sur cette jeune génération qu’elle représente, Zhang Yueran ne réserve pas ses critiques, lui reprochant de trop vivre dans le présent sans chercher à comprendre comment le passé le détermine : « Li Jiaqui et Cheng Gong se distinguent de la majorité des chinois de leur âge, car même s’ils ont de nombreux défauts, ils ont le courage de chercher la vérité qui est importante pour leur vie et pour la comprendre. » En témoignant dans son roman de la situation de la Chine d’aujourd’hui, Zhang Yueran voulait faire l’éloge d’un ralentissement nécessaire qui lui tient à cœur, invitant à s’arrêter pour réfléchir et ne plus obéir au diktat de la vitesse qu’elle dénonce. « Si dans les années 1990 on voyait le développement de la Chine comme stimulant et excitant, aujourd’hui on mesure combien il est rapide, terrifiant, et que l’on ne maîtrise plus cet emballement. » regrette-t-elle. La littérature s’incarne comme lieu du ralentissement et de la réflexion pour cette écrivaine amatrice de littérature française qui cite Modiano, Proust ou encore Flaubert pour modèle et qui a commencé très tôt à écrire, particulièrement lorsqu’elle est partie étudier l’informatique à Singapour, une ville qu’elle décrit comme « ennuyeuse et sans culture, où l’on est rapidement nostalgique de son pays et de sa culture, c’est alors comme ça que l’on devient écrivain. »

Féminisme à la chinoise

Engagée et soucieuse que « la Chine renoue avec la fierté perdue de sa culture », espère-t-elle, Zhang Yueran veut aussi, en tant que féministe, donner la parole aux femmes. « Dans ce roman, tous les drames familiaux résultent des fautes des hommes et les femmes ne font que les subir. Je voulais ainsi rendre hommage à ces femmes que l’on ne voit pas, et il faut respecter leur silence et leur retrait, explique-t-elle. Je ne souhaitais pas, en tant que féministe, imposer un jugement mais les accompagner en les décrivant et en portant leur parole. Même si la place des femmes a connu une amélioration en Chine, il subsiste encore beaucoup d’inégalités, particulièrement dans les campagnes. Les écrivaines ont par ailleurs encore peu de places en Chine par rapport à leurs collègues masculins ». Elle dit néanmoins ne pas se faire d’illusion quant au pouvoir de la littérature sur la société malgré le bel accueil qu’a pu connaître son roman à sa sortie en Chine en 2016, estimant qu’« un livre n’est pas suffisant pour faire changer les mentalités. »

Est-ce pour revenir aux origines des individus que Zhang Yueran raconte l’enfance de ses deux personnages, de leur relation complexe à leurs familles et aux institutions dont ils se défient, alors que leur destin s’ouvre à eux ? La fortune, au sens premier du terme, est ainsi le sujet même de ce roman qui fait coexister les époques et interroge la possible liberté d’individus qui tentent de se dépêtrer des contraintes imposées par l’Histoire, la société ou la tradition. Lorsqu’on lui demande si elle pense qu’il est vraiment possible de dépasser ce qui sépare les êtres, l’auteure répond ainsi, méditative, douter encore mais l’espérer fortement. C’est ainsi par le regard de l’adulte sur son enfance que se noue dans Le Clou tout ce questionnement. « Lorsqu’on est enfant on a l’impression de vivre dans une brume de secrets, qu’on espère avoir quitté quand on devient adulte mais ce n’est pas le cas, les interrogations restent. » raconte-t-elle. On pourrait alors rajouter que nous venons en effet chercher dans les livres des éclaircissements à ces mystères qui persistent.


Zhang Yueran, 
Le Clou, traduit du chinois par Dominique Magny-Roux, Zulma, 592p., 24,50 €