Bruno Dumont commence son nouveau film en territoire « ennemi » : non pas chez Daesh ou chez les Talibans, mais dans notre spectacle quotidien permanent, notre Truman Show mental où fusionnent et se confondent télévision, cinéma et politique, cet entre-soi incestueux des « puissants » que le peuple schizophrène regarde tous les jours avec le désir d’en faire partie et la frustration de ne pas en être. Le président Macron donne une conférence de presse à l’Élysée (pure fiction, donc) où sont présentes la journaliste télé vedette France de Meurs (vous pouvez jouer deux minutes avec la polysémie de ce patronyme) et son assistante à tout faire (Blanche Gardin, excellente dans son registre extraverti-trash habituel). Mais le sujet de Dumont n’est pas le quinquennat, plutôt l’introspection critique des « élites » à travers l’un de leurs piliers, la télévision de grande audience. Comme attendu, l’auteur de Petit Quinquins’en donne à cœur joie pour décortiquer le simulacre télévisuel, du mauvais théâtre des affrontements surjoués en plateaux aux reportages sur les vrais théâtres de guerre mis en scène dans un grand souci du futur audimat et de l’image de la reporter star, souci qui n’a d’égal que le mépris des populations autochtones utilisées comme faire-valoir. Mais si le regard corrosif de Dumont sur la dégueulasserie d’une certaine conception dominante de la télévision fait plaisir, il a aussi quelque chose d’un peu old school : Guy Debord, Pierre Bourdieu, Sidney Lumet ou Serge Daney n’avaient-ils pas déjà tout dit sur le sujet il y a quarante ou cinquante ans ?

Plus intéressant est le portrait de France de Meurs, qui est aussi sans doute un peu celui de Léa Seydoux ainsi que celui de la France d’aujourd’hui. Sûre de sa beauté et de sa puissance, la star télé entre en dépression à la suite d’un accident de voiture puis d’un incident de direct télé. Comme la société française, si optimiste au temps des trente glorieuses et du Concorde, si dépressive depuis quelques décennies ? Un peu à la façon d’Ingrid Bergman dans Europe 51, France de Meurs prend conscience du vide existentiel et affectif de son monde doré et comprend que le peuple existe par-delà l’abstraction de l’audimat. Elle part se soigner et se ressourcer à la montagne et on pense qu’au contact des cimes immaculées, elle va trouver le chemin d’une rédemption. La suite montre que Dumont est plus retors que le maestro italien, ou moins habité par l’idée de la sainteté. Le monde est pourri, son mode de récit dominant aussi, mais chacun contribue à les faire tourner ainsi, même à son corps défendant. Non dénué d’humour mais sombre et glaçant, Franceest aussi le film le plus ouvert et le moins « bizarre » de Bruno Dumont, porté par une Léa Seydoux magistrale qui passe du cynisme le plus carnassier à la mélancolie la plus tenace.

France, Bruno Dumont, ARP Sélection, en salles le 25 août. Plus d’informations ici.