Nadim et Alison, comédiens dans La Cerisaie de Tiago Rodrigues, sont pour la première fois sur les planches du IN. Ils évoquent pour Transfuge leur Avignon.

Dans le puits sombre et sec qu’est la Cour d’Honneur du palais des Papes, terrifiant des générations de comédiens avant la leur, Alison Valence et Nadim Ahmed semblent à l’aise. Mieux, leur performance frappe par sa justesse et nourrit, alliant une humble retenue avec une profonde générosité. A 24 et 32 ans, Alison et Nadim ont tous deux un parcours jalonné d’expériences singulières. Ce vivier artistique leur permet d’aborder avec un regard nouveau la dernière pièce de Tchekhov.

Un apprentissage différent du métier 

Issu de la scène suisse, Nadim s’offre le luxe d’enseigner avant d’apprendre les codes du théâtre. Il forme ainsi des jeunes à l’art de l’impro alors qu’il est encore jeune éducateur social à Genève. « L’improvisation est une forme théâtrale qui rend libre ! clame-t-il. Elle m’a appris l’insolence. Et c’est fou comme ça marche avec le public. Les salles sont pleines… j’ai vraiment fait l’expérience d’une salle vide lorsque j’ai commencé le théâtre ! », avoue-t-il. Alison connaît à l’inverse un parcours très vite orienté vers le théâtre classique. Elle est sélectionnée dans 1er Acte en 2015,un programme visant à ouvrir les scènes à la diversité. En 2016, elle joue Charlotte dans Dom Juan et a l’impression « de parler à tout le monde » à travers ce texte. « C’est pour ça que j’adore le théâtre, dit-elle, et le faire avec le plus de monde possible. L’œuvre de Molière a beau nécessiter un temps d’apprentissage, un travail sur la langue et un vocabulaire parfois compliqués, on lit tous Molière à l’école, ce qui rend son œuvre universelle. » Nadim considère aussi le métier de comédien comme un ferment populaire. Il s’approprie d’ailleurs le souhait formulé par Jean Vilar en 1947 : remettre le théâtre au centre des gens.

Le théâtre comme « miroir fidèle du monde »

Faut-il y voir le signe d’une ouverture du théâtre « classique » et du festival d’Avignon ? Oui si l’on en croit la volonté farouche de Tiago Rodrigues de rassembler sur scène « des comédiens d’âges, de pays et de pratiques théâtrales différentes », faisant de la Cour d’Honneur un lieu de diversité culturelle plus ouvert aux nouvelles écoles. Alison y voit le signe d’une ouverture, elle aussi : « Dans mon expérience de 1er Acte, poursuit Alison, nous faisions des réunions en non-mixité, mais qui n’en était jamais vraiment non plus : l’intervenant faisant cours venait avec son propre bagage, il s’agissait avant tout d’une rencontre. C’est ça que je recherche. Dans la richesse des différents profils appelés par Tiago, nous avons su trouver chacun notre place dans un climat de grande bienveillance, de grande douceur même. » « Un problème profond persiste, complète Nadim, notamment pour les personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au genre assigné à leur naissance . Les personnes trans* à qui l’on demande de jouer un rôle d’homme ou de femme » pointe-t-il en faisant référence aux contextes institutionnels à la vision encore très binaire, cisnormative voire transphobe. « Il y a pourtant une vraie nécessité à ce que le théâtre soit le miroir fidèle du monde. »

« Peut-être qu’un jour, nous aussi, on jouera à Avignon… »

Sur scène jusqu’au 17 juillet, Nadim et Alison ont aussi pris conscience du rôle que jouait le public dans un lieu comme la Cour d’Honneur. « Un spectacle ça se trouve avec le public, donc la première… c’est la première rencontre ! raisonne Alison. C’est comme un rendez-vous, on ne ‘’se maque’’ pas avec quelqu’un dès le premier regard ! ». Après une première dont les critiques auront été mitigées, la « deuxième » n’aura pas été de tout repos, sous la pluie battante. « Je nous sentais comme sur un bateau pris dans la tempête, se souvient Nadim. Le plateau était dans le noir, une partie des lumières ne marchaient plus… Tiago Rodrigues nous a dit que nous nous étions battus dans notre jeu, insinuant que peut-être, nous avions été meilleurs que la veille ». La Cour d’Honneur présente toutefois l’avantage pour les acteurs de s’habituer au public et à l’immensité de la scène au fil des soirs. Nadim se souvient d’ailleurs de l’étincelle avignonnaise qui continue de le faire briller sur les planches : « C’était devant Le Vivier des Noms de Valère Novarina, en 2015, au Cloître des Carmes ». Dans cette pièce, les acteurs cheminent autour de l’étendue du langage. « Mes potes et moi sortons de là. Peut-être qu’un jour, nous aussi, on jouera à Avignonblaguent-ils en chœur. J’ai un souvenir puissant : je suis là, je suis au bon endroit, et c’est ça que je veux faire ! » pense Nadim tout bas, guettant avec quelques années d’avance le public qui vient.  

https://festival-avignon.com/fr/edition-2021/programmation/la-cerisaie-59248