L’auteure de Rosa Candida, revient avec Miss Islande un roman doux-amer sur la vocation d’une jeune femme écrivain, dans une Islande des années soixante encore très rigide.

Le roman s’ouvre sur une scène de sexisme ordinaire : une jeune mère choisit un prénom pour sa fille. Son mari en choisit un autre. On ne discute pas le choix du père : la petite s’appellera Hekla, du nom d’un volcan islandais. Enfant, Hekla utilise des mots que personne ne comprend. En 1963, armé de quatre manuscrits, elle saute dans un bus et quitte la ferme familiale pour la ville de Reykjavik, où l’attend, espère-t-elle, une carrière d’écrivaine. Dans le bus, un directeur de casting concupiscent voit en elle une potentielle miss Islande. Voudrait-elle concourir ? Il peut l’aider. Elle décline. L’homme ressurgira tout au long du roman, insistant, symbole de la misogynie qui fait rage sur la petite île. Une femme n’a pas sa place au café Mokka, fief des écrivains et des poètes autoproclamés qui rêvent de marcher dans les pas d’Halldór Laxness, premier Islandais prix Nobel de littérature en 1955. Hekla n’a que deux amis : Isey, mère de famille à la vie réglée comme du papier à musique, mais à l’âme assaillie d’idées de romans noirs et de poèmes désenchantés qu’elle écrit la nuit dans sa cuisine, en prétendant rédiger la liste des courses, et Jon John, fils illégitime d’un soldat américain, homosexuel, en proie aux violences et à l’hypocrisie d’une population qui bannit les gays («communistes», «violeurs d’enfants»). La même société tolère de nombreux mariages de façade, voués à masquer l’homosexualité de certains pères de famille. Drôle d’époque, drôle de pays. L’Islande est encore à l’écart de la marche du monde. Ici, personne n’a entendu parler de Martin Luther King. Mais la petite île possède sa propre poésie, inscrite dans ses intempéries, ses volcans, sa faune et sa flore. Sur cette terre se côtoient artistes et paysans, qui sont parfois les deux à la fois. Mais comment les identifier ? Troquant son humour bon enfant, volontiers fantaisiste, contre quelque chose de plus grinçant, Auður Ava Ólafsdóttir raconte un pays qui fait instinctivement littérature, tout en ayant un mal fou à faire de la littérature, un pays qui adore les écrivains, mais ne sait pas les reconnaître, surtout quand ce sont des écrivaines. Un éditeur refuse le manuscrit, qu’on devine excellent, d’Hekla. «Il n’a pas trouvé dans ton roman les graines de pissenlits qui volent à tout vent ? interroge Isey – Non. Ni le soleil qui panse les blessures ? Ni le crépuscule qui enveloppe de son voile les désirs ? – Non.» Hekla et Jon John iront chercher la liberté au-delà des frontières d’Islande. Le roman s’achève sur une situation d’une violence symbolique inouïe. Pas de véritable happy end cette fois chez Ólafsdóttir, qui nous avait habitués à une littérature consolatrice. Miss Islande est un roman critique, un petit bonbon très acide qui nous rappelle que la littérature n’a pas uniquement vocation à arrondir les angles.

Miss Islande, Auður Ava Ólafsdóttir, traduit de l’islandais par Eric Boury, Zulma