Dans Février, à travers le récit de trois âges d’un personnage, Kamen Kalev propose une méditation poétique sur ce qui, dans une destinée d’homme, est permanent. En salles le 30 juin.

Au cœur de Février, le nouveau long-métrage du cinéaste bulgare Kamen Kalev, il existe une saison invincible. En chroniquant trois périodes – l’enfance, le service militaire et la vieillesse – de la vie modeste et solitaire d’un même homme, Petar, Kamen Kalev fait le récit de la permanence d’une destinée, écoulée sans heurts et comme dissimulée au regard dévorant du monde. Le temps, matière fluctuante et insaisissable du récit, y circule autour d’un Petar impassible et serein, dont les racines, solidement ancrées dans la terre, exorcisent toutes les vicissitudes de l’humanité moderne. Sans recherche du néant ou de l’absolu et sans révolte contre le destin, sans nostalgie pour ce qui a été et sans angoisse pour ce qui sera, Petar demeure.

Enfant, en observant de ses yeux curieux son grand-père, berger taiseux et solitaire, Petar se tient face à une projection de lui-même, et des deux générations qui se regardent, on ne sait plus très bien laquelle engendre l’autre, laquelle est le miroir de l’autre. Quand s’ouvre la troisième partie, on comprend que l’apparence vieillie de Petar n’est pas un mimétisme symbolique, mais qu’elle ouvre au contraire une fenêtre sur une réalité commune. Autrement dit, j’endure comme tu as enduré.

Avant, le temps d’une scène de noces, le film a esquissé la possible jonction de son personnage avec la ronde énergique du monde. Mais l’immobile Petar ne se départira jamais de son léger sourire, si léger qu’il semble toujours sur le point de s’évanouir. C’est que l’échelle temporelle du personnage est celle du paysage, et toute autre expérience sensible semble lui parvenir avec un imperceptible délai, proche en cela de la lumière émise par ces étoiles en réalité d’ores et déjà éteintes depuis des siècles. La longueur des plans comme l’étirement des séquences permettent alors au cinéaste de troubler suffisamment la perception pour créer ces courts instants de désynchronisation.

Au cours de son service militaire dans la Marine nationale, le jeune homme se porte volontaire pour rejoindre un poste isolé du continent. L’île aux goélands sur laquelle il est cantonné cristallise ainsi le retrait, ou plutôt la permanente distanciation de Petar vis-à-vis des événements de sa propre vie.

 « À quoi rêves-tu ? » lui demande son capitaine. La réponse pourtant sincère de Petar – « à rien » – laisse l’officier insatisfait. Comme lui, on voudrait creuser dans les entrailles du personnage, saisir davantage cette conscience qui semble s’enrouler avec tant de gravité et de légèreté mêlées autour d’une existence triste et sans aucun avantage. Ce qui fonde pourtant la beauté véritable du personnage de Petar, ce n’est pas son intériorité, qui nous sera toujours refusée, ce n’est pas l’expérience discontinue de ces trois âges, mais bien le passage de l’un à l’autre, le gouffre qui les sépare, l’obscurité et le mystère de la collure qui les unit, et toujours ce corps solidement érigé, comme un totem immortel sur la terre des êtres éphémères. À quoi bon rêver, quand le monde se suffit à lui-même ?

Février De Kamen Kalev, avec Dimitar Radoinov, Lachezar Nikolayev Dimitrov, Kolyo Ivanov Dobrev… UFO Distribution, sortie le 30 juin.

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