Les années quatre-vingt, pour Hans Hartung furent fastes. La preuve avec cette éblouissante expo chez Perrotin.

Comme d’autres furent le vers personnellement, Hans Hartung fut la peinture personnellement. Toute sa vie durant, mais plus peut-être encore à la fin, au cours de ces années quatre-vingt où, dans son atelier d’Antibes, entouré de ses assistants – une vraie P.M.E., rigoureusement organisée –, unijambiste, âgé, il tient des cadences surhumaines (en 89, notait le catalogue de la somptueuse expo que lui a consacrée récemment le musée d’Art moderne de Paris, ce ne sont pas moins de 360 œuvres…). Mais ce torrent dionysiaque ne doit pas noyer la grande préoccupation de Hartung. Qu’avait bien sentie Ionesco, dans un texte où il développait ses idées sur la « construction » d’un tableau après avoir professé son admiration pour le peintre. Hartung est, justement, un constructeur.

Les merveilleuses couleurs de ses bombardements cosmiques ou, ailleurs, cette plénitude lourde de nuit, de crépuscule, ne sont-elles pas dues à un bricoleur-né, qui agrège à son arsenal de peintre la sulfateuse à vigne ou le pistolet à air comprimé ? Et les titres, encodés en chiffres et en lettres, de ses toiles, pourraient bien être ces numéros de série qu’on trouve dans les notices de montage. Mais, plus fondamentalement, ce sont les toiles elles-mêmes, dont celles qu’on verra chez Perrotin, qui attestent une fibre de bâtisseur.

Hartung a un sens architectural de la disposition des masses, ne répugnant pas à la symétrie, à l’instar de cette peinture de 1986 (T1986-E27), avec ce coup de jaune flanqué de deux rubans noirs. Plus loin, il joue comme un photographe sur les flous et les effets de mise au point, donnant ainsi l’impression que les grandes zones colorées se répartissent du proche au lointain, selon, pourquoi pas, une perspective retrouvée au cœur même d’une abstraction foisonnante (T1983-E41, 1 983).

Construire dans l’espace, donc, comme l’architecte et, comme celui-ci encore, construire un espace. Anarchiques, sinueuses, spirées, ses lignes savent aussi se discipliner et, sur T1988-H30 (1 988), délimiter des aires, organiser presque régulièrement la surface de la toile. À moins que, sur T1989-R16 (1 989), elles ne semblent se muer en arabesques décoratives, suggérant un découpage en compartiments de l’œuvre. Ailleurs, c’est le jeu sur les dégradés (T1982-E21, 1 982) qui, comme les transitions dans un spectre lumineux, attire l’œil sur les frontières, souligne leur présence alors même qu’elles se désagrègent dans un poudroiement. Et, même à son plus intersidéral, dans une toile comme T1986-E25 (1 986), nuage galactique, Hartung répartit, organise, délimite : les déchiquetures jaunes, résultat d’on ne sait quelle explosion cosmique, forment un centre et une périphérie.

Rien d’étonnant alors si la galerie Perrotin, comme un complément à Hartung 80, se propose aussi, en rapprochant des toiles de 1963, d’explorer les liens avec Rothko. Celui-ci, génial poseur de briques de couleurs, avait sans doute senti un esprit fraternel chez cet autre constructeur…

Exposition Hartung 80, galerie Perrotin, rue de Turenne, du 12 juin au 31 juillet

À noter aussi : Exposition Rothko et Hartung, galerie Perrotin, impasse Saint-Claude, du 12 juin au 31 juillet et du 11 au 18 juin, performance d’Abraham Poincheval dans l’exposition Hartung 80

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