Comédienne et metteuse en scène, Isabelle Lafon s’intéresse dans Les Imprudents à Marguerite Duras, l’intervieweuse. En replongeant dans les entretiens qu’elle a eus dans les années 1970 avec des mineurs du Nord de la France, elle cisèle un portrait en creux de la mythique écrivaine.  Une pièce que l’on espère voir bientôt. 

Pourquoi Duras ?

C’est avant tout une demande d’Éric Bart, qui m’a proposée de mettre en scène pour le Printemps des comédiens. 2020, un dialogue entre Marguerite Duras et Jean-Luc Godard. Je n’étais pas convaincue, je n’arrivais pas à me protéger d’autant que c’était une Duras surreprésentée, celle qu’on a l’habitude de voir. Et puis, le fait que ce soit un dialogue excluait d’office de pouvoir travailler avec les gens avec lesquels j’ai mes habitudes comme Johanna Korthals Altes et Pierre-Félix Gravière. J’ai lui ai donc fait part de mon désir de partir d’une autre Duras, un peu moins connue. C’est-à-dire celle qui avait posé des questions, qui avait fait des interviews d’enfants, celle qui est allé dans le nord parler avec des mineurs et des femmes de mineurs pour leur lire des textes. J’avais envie de partir des autres pour aller vers l’autrice de L’Amant, de voir une Duras des années 1960 et 1970. 

Comment avez-vous travaillé ? 

Avec Pierre-Felix et Johanna, nous avons pris comme point de départ du spectacle, la visite de Marguerite Duras en 1967 à Harnes dans le nord. Une nuit durant, l’écrivaine a lu des textes à des familles de mineurs, les a interrogés sur leur vie. Ensuite, nous improvisons à partir des textes de Duras, d’entretiens qu’elle a elle-même menés et de documents d’archives. Puis, nous avons chacun choisi quelques personnages interrogés par Duras et tenté d’esquisser leur histoire, leur ressenti après cette rencontre. Et petit à petit, on tisse une partition, le portrait d’une femme qui tend à rejoindre la Duras, interviewée par le journaliste Pierre Dumayet. A la fin de sa vie, l’écrivaine avait le désir de revoir les émissions qu’elle avait faites dans les années 1960, comme Dim’ Dam’ Dom’, où elle allait à la rencontre de Stripteaseuses, de directrices de prison. Avec Les Imprudents, nous avions l’envie d’accéder à ce désir, et peut-être finira-t-elle par apparaître sous l’apparence d’une vielle dame…

Comment aborde-t-on un personnage comme Duras ? 

Avec beaucoup de nuits d’insomnie, car on se demande comment faire pour esquisser le portrait d’un monstre sacré de la littérature. Elle est tellement tout, géniale, insupportable, humaine, sectaire, dérangeante, lucide, vraie, etc., que s’est impossible de l’appréhender dans son entièreté. J’ai donc pris la décision de nous attaquer à une facette du personnage que l’on connaît moins, de partir d’un petit endroit en excluant tout ce que l’on sait, en mettant de côté sa vie, son œuvre, en espérant que cela éclaire son rapport à l’écriture. J’ai eu la conviction qu’en m’intéressant à cette femme que l’on connait peu, celle qui pose des questions, qui va à la rencontre des autres, je trouverais le moyen, l’espoir de la faire venir. 

Les Imprudents d’après les dits et les écrits de Marguerite Duras, mise en scène d’Isabelle Lafon.