Avec l’Islandais Einar Mar Gudmundsson, on part pour un trip au cœur de la jeunesse. Aussi joyeux que mélancolique. 

D’amour et d’eau (ou plutôt de bière) fraîche, mais aussi de dépaysement. Voilà de quoi vit Haraldur durant l’été 78. L’errance plus ou moins insouciante et l’appel irrépressible de l’ailleurs, les transports du coup de foudre : le jeune Islandais, étudiant en lettres et aspirant poète, les trouvera en Norvège, en Sicile, en Grèce. L’amour et la route : les deux grands mythes princeps de la jeunesse. 

Empruntant aux mémoires et aux récits de voyage leur dédain pour la terne linéarité, le roman slalome aussi capricieusement que joyeusement de digression en flash-back. Un Haraldur plus âgé, mûri mais pas aigri pour un sou, tire événements et personnages des placards d’une mémoire plus ou moins incertaine, les remise temporairement, les ressort alors qu’on n’y pensait plus. Voici Jonni, hâbleur et grand conteur devant l’éternel, qui le rejoint à Oslo, comme un Doppelgänger éthylique et musicien. Voici Bjarni, le poète dont l’appartement est ouvert à tous les vents. Et Inga, radieuse, qui illumine tout, douce déesse de l’amour. La liste serait longue, notre Haraldur-Ulysse multipliant les rencontres au fil de son séjour à Oslo avant de partir pour le Sud, Taormine et Syracuse avec Inga. Mais il ne s’agit jamais de simples figurants. Les uns sont hauts en couleur, d’autres nimbés d’un mystère à mi-chemin entre la mystification et la légende. C’est une vraie mythologie personnelle que décrit Haraldur. La constellation de héros ou de créatures plus ou moins insolites que se forge un jeune homme au tempérament poétique, et qui peupleront son imaginaire. 

Haraldur alterne, toujours sur le même mode doucement anarchique, effusions lyriques (Oslo ensoleillée, le concert des oiseaux dans les montagnes) et notations lucides, voire douloureuses : pages poignantes sur la gauche italienne de la fin des seventies, dont les idéaux se diluent dans la drogue et la parano. Car cette jeunesse ne vit pas dans le ciel éthéré des fables : elle est politisée, ultra-politisée même. Défilent tous les jalons de la contestation et de l’engagement comme une autre mythologie de la jeunesse, politique celle-ci. Figures culturelles tutélaires : les Situs, les Pistols, Dylan. Ferveur militante, brouillonne, de gauche, comme l’évocation, au début des années soixante-dix, des manifs contre les États-Unis en Islande. Haraldur ne se leurre pas, ce temps est passé. Et ce dès 1978, alors que sa jeunesse est loin d’être révolue, et qu’il vit son été norvégien. Mais ni nostalgie, ni apostasie. Lorsqu’il raconte cet âge mythique, où rien ne semblait pouvoir brider l’euphorie révolutionnaire, Einar Mar Gudmunsson sait mêler la clairvoyance à l’exubérance de l’engagement. 

Mais Haraldur est d’abord poète. Et son panthéon est autant, plus même, celui des lettres que de la révolution. Le roman baigne dans la littérature. Conversations enfiévrées, sincères et grandiloquentes à la fois, sur la poésie. Grands écrivains toujours à portée de mémoire pour apprécier un événement, décrire une rencontre : Malraux, Laxness et des dizaines d’autres forment le substrat de ce voyage, qui est aussi un voyage à travers les livres. Avec, au centre, soleil noir, éblouissant et complexe, fascinant et révulsant, Knut Hamsun, véritable bréviaire d’Haraldur. Comme si le jeune poète n’allait pouvoir devenir véritablement écrivain qu’en s’appropriant, pour le digérer et le surmonter, un mythe de la littérature. 

Einar Mar Gudmundsson, Un été norvégien, traduit de l’islandais par Eric Boury, Zulma, 336 p., 21 €