Avant que ne s’achève la Biennale de la Danse à Lyon, nous sommes allés découvrir les Usines Fagor, lieu splendide au cœur de la ville, investi par les jeunes danseurs. 

À quel moment un lieu transforme-t-il un art, ou un art transforme-t-il un lieu ? Cette question ne peut échapper à celui qui pénètre les usines Fagor pendant la Biennale de la danse. Situées dans le quartier de Gerland, les usines Fagor ont longtemps incarné le fleuron industriel de la ville. Mais la désindustrialisation oeuvrant, le lieu est désormais une friche, pour la joie, et surtout l’inventivité des mondes culturels de la ville. Ainsi, pour la première fois, la danse. La biennale intitule d’ailleurs l’ensemble des représentations, installations, vidéos présentées ici, « l’expérience Fagor ». Et en effet, le lieu se prête à l’expérimentation. 

L’espace est immense, l’écho, riche, et la scénographie, à inventer. Pas de plateau, pas de rangées, pas de représentation classique. Ce jour où je m’y suis rendue, vendredi 11 juin, trois propositions s’y succédaient, qui disent assez la volonté exhaustive, festive et rassembleuse de cette Biennale sous l’égide de Dominique Hervieu : Noé Soulier, figure forte néo-classique de la danse française y reprenait Removing Reset crée en 2019. 32 danseurs issus du Jeune Ballet du Conservatoire de Lyon et de sa propre formation d’Angers, interprétaient cette danse riche de contrastes, alternant solos, mouvements d’ensembles, afin de faire vivre le cœur même des gestes du ballet. Les contrastes entre les jeunes danseurs étaient évidents, mais sur ces différences, Soulier construisit une chorégraphie toute en nuances. 

Puis, dans une autre salle, immense, Christophe Haleb avait installé son travail documentaire, Entropic now  qui mêlait chorégraphie et longues phases documentaires avec des adolescents de Lyon et d’ailleurs qui partageaient leurs inquiétudes sur l’avenir. Un travail documentaire qui fait part du désœuvrement d’une certaine jeunesse aujourd’hui. 

Enfin, l’éblouissement de ce jour à Fagor fut Neighbours, de Brigel Gjoka et Rauf Rubberleg, en collaboration avec William Forsythe. Ce fut en à peine trente minutes, et dans un silence complet, l’un des duos les plus inventifs, les plus maîtrisés que l’on ait vu depuis longtemps (hors période Covid). Ces deux danseurs ont fait preuve d’un instinct chorégraphique et théâtral inouï, mais aussi d’un sens de la rencontre, comme le dit justement le titre de la pièce, une drôlerie, et un goût du jeu, qui tiennent en haleine tout au long de ce spectacle. Pas un geste ne tombe à côté, pas un pas ne se révèle de trop. Si l’on reconnaît bien sûr la présence de Forsythe dans l’écriture de ce duo, ce sont les deux personnalités des interprètes qui mènent ce duo vers des sentiers apparemment burlesques, et fondamentalement politiques et philosophiques. Comment vivre en voisin ?, telle est la question centrale.  Par la confrontation, le jeu, et l’acceptation d’une inévitable interdépendance, nous répondent les danseurs. 

S’étant ouvert sous le marrainnage de Germaine Acogny, s’étant poursuivie dans la flamboyance de Dimitris Papaioannou, la joyeuse énergie d’Olivier Dubois, ou la grâce de Yuval Pick, cette Biennale à Fagor nous a permis d’entrer dans le laboratoire si stimulant de la danse d’aujourd’hui.