Du 4 au 6 juin, la Comédie du Livre, un des fleurons printaniers des festivals, se tenait à Montpellier. Transfuge y était. 

« L’énergie », tel est le mot, tel est le motto de Florence Bouchy, sur le plateau de Via Occitanie, en prélude à cette 36e édition de la Comédie du Livre. L’énergie, cette fée invisible qui circule en crépitant de livre en livre, de livre en lecteur, cette parole vive qui jaillit de la bouche des auteurs – et cette précieuse ressource qui anime nos écrans, toutes tailles confondues. Car si Montpellier, baignée de son indéboulonnable soleil pré-estival, est pavoisée aux couleurs de la Comédie, celle-ci aura lieu dans cet espace immatériel qu’est le numérique. Immatériel mais bien rempli : la thématique croate de l’an dernier ainsi que les rencontres liées à la saison Africa 2020, mises en sommeil l’an dernier, pour des raisons qu’on ne se figure que trop bien, se voient réveillées. 

Cette énergie qui secoue rétrospectivement la léthargique année 2020, tous les auteurs semblent s’être donné le mot pour la relayer. Qu’elle s’incarne sous les dehors des utopies de la résistance que met en scène Wendy Delorme, ces « stratégies » qui bousculent les scléroses et excitent le changement, ou bien que, chez Beata Umubyeyi Mairesse, avec qui je me suis entretenu pendant une heure, elle soit consubstantielle à la parole des Tutsis, qui s’efforce de fissurer la sourdine du silence, elle est toujours, indissociablement, politique et littéraire. 

Les physiciens le savent : enfant de la foudre ou de la fission, l’énergie est, comme manifestation ou comme concept, irréductible à la simplicité. « Complexe », toujours, pour reprendre le mot de Beata Umubyeyi Mairesse, lorsqu’elle évoque les jeux, justement complexes, de friction, d’attraction et de répulsion entre la mémoire et l’oubli, le mutisme et les mots, l’Afrique et l’Occident… Toute une série de polarités qui engendrent les courants traversant son roman. Autres polarités fécondes en étincelles littéraires, celles qui se dessinent lors de la rencontre entre Xabi Molia, Pierre Ducrozet et Julien Guerville, tout en va-et-vient entre la littérature et l’écologie : tensions entre l’idée et sa réalisation, le monde industriel et la nature, l’humanité à la fois victime et coupable des détraquements climatiques…

S’il est vrai, comme le notait dans un bel accès de lyrisme, Flaubert, que les très grandes œuvres sont « houleuses comme l’Océan », c’est qu’un peu de l’énergie de la nature et de la vie les habite. Je me suis fait cette réflexion en écoutant Eric Richer, lors de la table ronde qu’il partageait avec Aymen Gharbi : il pointait le coefficient d’imprévu des personnages, la façon dont ceux-ci étaient rétifs à tout plan préconçu, se métamorphosant selon des lois qui semblent leur être propres. Des lois qui traduisent quelque chose comme une irrépressible poussée vitale, un appétit inextinguible : ainsi Aymen Gharbi ne confie-t-il pas aimer la « surcharge » ? Un appétit qui engloutit jusqu’au lecteur, puisque la rapidité des scènes est précisément destinée à absorber celui-ci, à le happer…

Et c’est peut-être Ondjaki qui cristallise le mieux cette énergie protéiforme. Lui qui déclare, et c’est seulement une demi-boutade, que « Luanda écrit mieux que moi », sait combien les lieux, une ville en l’occurrence, sont des foyers d’électricité créatrice. Lui qui joue sur le cubain et le portugais, sait que la langue d’un écrivain est insatiable, qu’elle n’en finit pas de se nourrir d’autres langues. Sans doute est-ce parce que son roman est traversé par cette éternelle source d’énergie de l’imaginaire : l’enfance. 

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