Elle donne depuis 2019 le tempo d’un des lieux les plus dynamiques et foisonnants de l’art contemporain à Paris : le Centre Wallonie-Bruxelles. Rencontre avec sa directrice, Stéphanie Pécourt.

La frange est rockab ou gothique, la manche trahit l’encrage d’un tatouage – mais le tailleur est sage. La voix est pétulante, chaleureuse, semée d’éclats de rire – mais l’armature intellectuelle est rigoureuse, rivetée d’aphorismes et de concepts pris chez Pasolini, Isabelle Stengers… Stéphanie Pécourt est hors case. Ou dans toutes les cases à la fois.

La native de Mouscron, en Wallonie, partage aussi avec le Centre une année de naissance : 1 979. Fille d’une ministre, elle démine d’emblée le terrain de l’héritage familial : « mes parents viennent de milieux assez populaires, pour reprendre l’expression de Bourdieu, il ne s’agissait pas de « légitimes », leurs profils n’étaient pas les profils consacrés. » À dix-sept ans, elle pose ses bagages à Bruxelles et se fait un autre bagage, intellectuel, en socio, tendance épistémologie, où elle puise ces « grilles de lecture » qui lui permettent « d’approcher l’enjeu artistique sous un angle qui n’est pas seulement esthétique, mais plus fondamentalement critique. »

Corrompre

Elle a ce mot ensuite : « décoïncider ». C’est ça qu’elle réclame à l’œuvre d’art : « renverser à un moment donné ce qui semble être des évidences, basculer dans une autre réalité. » Comme les œuvres de Roman Signer ou Xavier Mary. Mais elle prend soin de découpler cette subversion du militantisme ou de l’engagement, au sens fossile du terme. Elle se méfie « de ces discours qui font de l’art un vecteur de cohésion sociale, un moyen. Non, la charge subversive est inhérente à la démarche créative elle-même. » L’artiste n’est ni vigie, ni prophète, ni rebouteux – il est artiste. Un « étranger de notre temps » aurait dit Rimbaud, mais qui le secoue, ce temps.

Je garde mon Rimbaud pour moi, même si Stéphanie Pécourt me parle à présent de la « porosité » des formes artistiques, invoquant la société liquide de Bauman, évoquant sa fascination pour les « œuvres totales », pour les artistes qui « corrompent » les médiums. Un refus des chapelles qui tient sans doute à ce que, avant son entrée dans « la corporation des arts plastiques et visuels », comme elle le dit avec une feinte solennité qu’elle dégonfle d’un petit rire, elle a été pendant près de douze ans à la tête de l’agence Wallonie-Bruxelles Théâtre Danse, chargée, m’explique-t-elle, de la promotion internationale des arts vivants. Puis ce furent les Halles Saint-Géry, à Bruxelles, pendant deux ans, et donc son intronisation dans la « corporation » de l’art belge.

Sauf que celui-ci, m’éclaire celle qui professe une sainte horreur du nationalisme, n’a de belge que le nom : « c’est un art totalement international. Bruxelles – c’est un cliché mais ce n’est pas une hyperbole – est un territoire complètement multiple, et la scène belge est intéressante aussi parce qu’elle échappe au fait d’être uniquement belge ». Sans compter que ce jeune pays, en vertu de sa jeunesse même, échappe à la pesanteur des traditions, aux carcans des canons : « Il n’y a pas de mouvements en -isme, et c’est ça qui m’intéresse. »

Se perdre

En 2019, voilà Stéphanie Pécourt au Centre Wallonie-Bruxelles, dans ce Paris « qui représente beaucoup pour moi. Mon père était de Paris et j’ai vraiment eu le sentiment de revenir à Paris, pas d’y arriver ! J’adore cette ville, le flux, j’adore le brouillon – j’adore me perdre dans Paris, je me perds tout le temps. » Se perdre : pour Stéphanie Pécourt, c’est plus qu’un goût de l’aventure, c’est une éthique et une esthétique. Témoin une des premières tâches qui échoit à la toute nouvelle directrice : célébrer dignement les quarante ans du centre. Ce sera chose faite les 4 et 5 avril 2019, deux jours, quarante artistes, et un maelström pour les sens et les cerveaux : photos, installations, vidéos, performances… « Une programmation qui jouait sur le flux, et qui annonçait les saisons futures. »

Lesquelles obéissent au même bouillonnement intellectuel et sensoriel. L’arrivée de Stéphanie Pécourt en aura mis plein les oreilles (naissance du festival Interférence_s, consacré à la création sonore) et les yeux (le festival 25 Arts Seconde, qui braque les projecteurs sur le film d’artiste). Et début 2020, il y avait l’expo Code Is Law qui tentait de baliser, via l’art, ce territoire si mouvant, si actuel, et qui « fascine », de son propre aveu Stéphanie Pécourt : le cyberespace. Elle en aime les promesses utopiques, elle me cite les pionniers du Net, leur éthos libertaire, mais elle n’est pas dupe, tant s’en faut, des chausse-trapes du numérique. Ainsi, la biennale Nova XX, qu’elle a fondée à Bruxelles, acclimatée à Paris, pour rendre justice aux femmes « moins marginales que marginalisées, dans le champ numérique arts/sciences ». C’est donc dûment avertis que les « visiteurs » ont pu, lors du confinement, se perdre dans le cyberespace du Centre – baptisé la « 25e heure », en clin d’œil au roman de Gheorghiu : « on a développé tout un pan de la programmation sur Internet, l’idée ce n’était pas du tout de proposer des ersatz, mais des contenus spécifiques sur Internet. » Stéphanie Pécourt, reine de l’ubiquité.

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