Bernard-Henri Levy, Jacques Julliard, Olivier Frébourg, trois hommes en quête de sens, trois hommes en quête de bonheur, – cette vieille et belle idée des Lumières, trois hommes qui cherchent à saisir le mystère de notre époque. Des boussoles dans une mer orageuse, des penseurs à rebours des pensées dominantes d’aujourd’hui, des rebelles, à la plume alerte, des esthètes, qui n’ont peur de rien.

Bernard-Henri Levy signe un de ses plus beaux livres, Sur la route des hommes sans nom (Grasset). Sur 140 pages, avant d’y faire figurer huit de ses reportages écrits pour Paris Match, tel Rousseau, il nous livre ses confessions, sans fard. Ce grand pudique s’épanche, toujours avec dignité (que Raphaël Enthoven prenne exemple) et nous éclaire sur ce qui motiva sa vie durant, cet engagement indéfectible en faveur des damnés de la terre. Un engagement mû par la probité de son père, André Levy, combattant contre le nazisme, et en Espagne, auprès des Brigades internationales ; mû par ses maîtres lorsqu’il fut étudiant à Ulm, Foucault par-delà son antihumanisme théorique, allant dans les prisons, Althusser par-delà son marxisme, lui rappelant de ne jamais oublier « l’homme réel » ; mû par des lectures, of course, Frantz Fanon et ses Damnés de la terre, Roger Stéphane et son Portrait de l’aventurier… BHL se souvient à Ulm, de la fierté d’avoir de grands professeurs, de la gloire d’être dans un lieu d’élite et de connaissance. Mais souvenir aussi que comme d’autres de sa génération, il eut envie de larguer des amarres trop petites bourgeoises pour mener une vie bonne voire héroïque. BHL se rendit au Bangladesh, matrice de son engagement. Il n’a pas la candeur de changer le monde, mais plutôt ferraille afin qu’il ne se défasse pas, (le tiqqun olam : la réparation du monde).

BHL se dit internationaliste, rejetant le souverainisme, même si son attachement à la France reste profond, à sa langue, à sa trinité républicaine. L’Europe, à laquelle nous sommes si attachés à Transfuge ? Nous souscrivons à sa conception de l’Europe : Pas une Europe du primat de l’économie mais une Europe d’esprit : Goethe, Kafka, Zweig, une Europe des lumières, de la tolérance religieuse, de l’hospitalité, des libertés individuelles.

Jacques Julliard de son côté, fait paraître ses Carnets inédits (Bouquins). Si nous ne partageons pas son souverainisme, il n’y a pas grand-chose à jeter par ailleurs dans les chroniques qu’il livre à Marianne et au Figaro. Ces carnets nous font découvrir l’origine de ses pensées. D’emblée, il est frappant de voir combien Julliard nourrit ses idées de littérature. Il voit dans la suppression de la culture générale aux différents concours français une volonté d’évacuer la littérature de l’esprit de nos concitoyens, car elle gène, la littérature. Lorsqu’elle est grande, rappelle Julliard, elle est révolte, elle est subversion, elle est ferment d’anarchie. La faire redevenir prépondérante, est pour lui un combat prioritaire, contre le Léviathan qu’est le capitalisme. On découvre aussi un Julliard effronté, toujours prêt à en découdre avec son époque. La maxime « il faut être de son temps » lui semble la phrase la plus stupide qui soit. Il a « une défiance instinctive envers les fausses évidences du présent ». Respirez, vous êtes chez Julliard. Il ajoute que s’il n’est ni utopiste, ni réactionnaire, il n’en reste pas moins admiratif de ces deux courants, souvent « intelligents » et « clairvoyants ». Ouverture d’esprit de Julliard. Le pire pour lui étant ceux qui prennent la pente de leur époque, béatement, ce qu’il appelle « le réalisme des imbéciles ». Enfin, ce trublion abhorre le campisme. S’il se présente comme démocrate chrétien, s’il pense que la figure du Christ est indépassable, s’il ne jure que par Claudel, saint Thomas d’Aquin, Pascal, Chateaubriand, Simone Weil, ces spirituels subversifs, il n’en reste pas moins un penseur qui croise le fer seul, s’obstinant à ne pas se laisser enfermer dans un camp. Là encore, à l’heure du campisme régnant, Julliard est une boussole.

Quant à Olivier Frébourg, il signe Un siècle si beau (Editions des Équateurs), un manifeste contre l’hégémonie des écrans, appelant à un retour de la poésie. L’essai est d’une langue délicate, vogue sur l’idée du Gestell d’Heidegger d’arraisonnement du monde par la technique, « cet esprit qui déploie son règne ». Frébourg rappelle qu’il n’y a jamais eu autant de dépressifs qu’à l’ère numérique. La technique rend-elle heureuse ? On en doute. Il s’adresse à ses trois enfants, entre courroux et regrets : « J’aurais dû leur apprendre ce que nous pouvons faire de nos mains et nous contenter du grec et du latin, car depuis rien de nouveau sous le soleil ». Et : « Je dis et redis à mes enfants : les écrans, ce n’est pas la vie. Ils détruisent le plus beau divertissement, l’ennui, le temps perdu, la rêverie. » Il voit dans notre frénésie numérique une victoire de l’adolescence, un rapport au monde voyeur, glandouilleur, à l’inverse de l’esprit d’enfance, entre émerveillement et soif d’apprendre. Frébourg qualifie le numérique d’« infection », de « poison ». Nous pourrions le consoler par un paradoxe : et si le numérique était une chance ? Jamais peut-être, avons-nous eu autant conscience de la beauté du monde physique, des arbres, des pierres, du soleil… C’est en prison que le monde paraît encore plus beau, non ? La joie de quitter son ordinateur, son smartphone, que nous ressentons aux premiers pas fait dans la rue, grande respiration, regard vague vers le ciel, corps croisés d’un érotisme vivifiant. La « sieste, à la chaleur grésillante », si cher à Frébourg, n’est-elle pas d’autant plus précieuse qu’elle est cet instant ravi au Gestell