Transfuge est partenaire du Concours de la jeune critique du Festival La Rochelle Cinéma 2021. A cette occasion, nous sommes heureux de publier la critique du 3e prix, Matthias Coquet, autour des Félins de René Clément.

Prenant place pour l’essentiel de son intrigue sur la Côte d’Azur, Les Félins démarre pourtant en plein New-York, à l’ombre des gratte-ciels. Ouverture implacable, dont l’énergie semble directement puisée à la source du film noir américain : les longs couloirs d’un hôtel luxueux, une poignée d’hommes de main aux mines patibulaires, et un boss impitoyable qui exige la tête de l’ancien amant de sa femme. Départ sur la French Riviera : l’ancien amant en question n’est autre que la plus grande star masculine du cinéma français d’alors, Alain Delon, et rapidement, son personnage de gigolo en disgrâce se retrouve traqué comme une bête sauvage par les bandits américains.

Le ton est donné d’emblée : reprenant Delon quatre ans après le triomphe international de Plein Soleil, René Clément revient avec Les Félins à l’univers du roman noir américain, qu’il ne cessera alors plus d’explorer sur la dernière partie de sa carrière. Après le Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, Clément se tourne ici vers un roman de Day Keene, Joy House, qu’il adapte avec Pascal Jardin aux dialogues, déjà rompu aux exigences du film noir sur l’admirable Classe tous risques de Claude Sautet, mais également Charles Williams au scénario, lui-même un auteur de romans noirs américain dont nombre des titres seront adaptés au cinéma en France. On recroise Sautet, dont le deuxième polar, L’Arme à gauche, est également tiré de Williams et sort un an après Les Félins. Ce renvoi n’est pas tout à fait anecdotique, tant le film de René Clément charrie avec lui tout l’imaginaire et le contexte d’un certain film noir européen, sous influence américaine et très ancré dans les années 60. Ainsi, le producteur des Félins, Jacques Bar, faisait déjà tourner l’année précédente Delon en malfrat iconique sous le soleil de la Côte d’Azur dans le Mélodie en sous-sol de Verneuil, film de casse élégant et sophistiqué et autre adaptation de la série noire, avec lequel le film de Clément semble dialoguer ouvertement.

Du roman de Day Keene, Clément ne conserve que l’argument principal, assez bien résumé par son second titre américain : Love Cage. C’est dans cette « love cage » cotonneuse au confort trompeur que va se retrouver piégé le personnage de Delon, recueilli comme un chat errant par deux riches américaines dont la bonté apparente ne peut, en toute concordance avec les codes du genre, manquer de cacher quelque chose. Délaissant progressivement le cadre paradisiaque de ses extérieurs niçois, l’intrigue des Félins se resserre petit à petit jusqu’à se modeler en un pur huis-clos, étouffant et vénéneux, suivant une double-trajectoire qui conjugue à un rétrécissement minimaliste du décor un épaississement presque baroque de l’intrigue, tout en faux-semblants, manipulations opaques et revirements de situation. Enfermant ses personnages dans le labyrinthe gothique d’une villa à l’architecture composite et invraisemblable, Les Félins glisse rapidement du « simple » film noir, conventionnel jusqu’à la caricature (consciente), vers les eaux troubles d’un thriller psychologique dont le formalisme, l’érotisme sous-jacent et les accents sadiques évoquent le giallo tout juste naissant.

Récit d’un jeu de pouvoir à quatre figures, Les Félins semble s’articuler entièrement autour de son titre, trouvaille originale de l’adaptation française. Delon, plus magnétique que jamais sous la caméra de Clément et pourtant inhabituellement fragile, presque gauche dans le rôle de cet anti-héros pathétique, n’était-il pas chez Visconti de ces « hyènes » et « chacals » appelés à remplacer les « guépards et les lions » ? Empreint d’un cynisme ravageur, Clément le condamne finalement à terminer comme une bête en cage, ou plutôt, un animal domestique : vaincu et privé de sa superbe. »