L’artiste plongeur Nicolas Floc’h remonte avec des images des fonds marins pour proposer une autre représentation de ces territoires. Ses photographies investissent en ce mois de mai la Fondation Thalie à Bruxelles.

Vêtu d’un pull marin qui me transporte immédiatement en Bretagne, Nicolas Floc’h m’accueille dans son appartement parisien. Hier encore, j’étais au Frac Paca de Marseille pour apprécier ses photographies de la côte sous-marine des Calanques marseillaise et de la Bretagne.Une sélection d’entre elles part ensuite à la Fondation Thalie qui s’ouvre depuis 2017 aux questions environnementales, notamment abordées lors des rencontres mensuelles Parole de créateur face à l’urgence écologique qui invitent chaque mois « artistes et scientifiques, dont Nicolas Floc’h à questionner les modes de pensée et de création à l’aune de la transition écologique », précise Jenna Barberot, responsable de la communication et de la production de ce lieu d’art bruxellois.

La qualité des tirages Piezo aux pigments de charbon donne un velouté et une précision à ses vues prises au grand angle. Ici un paysage lunaire, là une nature morte aux poissons, plus loin des monochromes marins, ailleurs des portraits d’algues. J’y ai découvert l’aridité des fonds côtiers marseillais face à la profusion de la végétation bretonne. Exploratrice de ces photographies si éloignées des clichés exotiques aux couleurs vives, je me suis perdue dans la lecture des positions notées à la manière des navigateurs. Après avoir parlé technique avec l’artiste plongeur renois, je lui demande de me raconter sa rencontre avec la mer et avec l’art. « J’ai arrêté l’école vers 15 ans pour devenir marin pêcheur et j’ai embarqué 18 mois sur un navire. En pêchant on remonte des choses du fond. Cela participe à développer un rapport avec ce qu’il y a sous la surface. Et quand je ne pêchais pas, je dessinais. » Il décide ensuite de passer son bac, « mais l’art m’a emmené ailleurs ». Artiste autodidacte, il est rapidement repéré par des critiques, des galeristes et des institutions françaises, notamment grâce à sa Peinture aquarium dans laquelle deux poissons rouges nagent sur un fond de mer en trompe l’oeil. A la même époque, au milieu des années 90, Nicolas Floc’h cultive des légumes qui en poussant forment des mots qui les désignent. Il vend ensuite ces « produit art » sur les marchés au prix normal. L’artiste aime jongler avec l’histoire de l’art moderne – faisant notamment se rencontrer le land art, l’art conceptuel et Fluxus – et jouer avec la sémantique.

Travail par la photo

Si le projet Ecritures productives est très pragmatique, car « quand on est un jeune artiste on a plus de chance de manger que de vendre ce qu’on produit », s’il pose un regard critique sur le marché de l’art, il annonce aussi les préoccupations écologiques de l’artiste. « Le mot productivité est à la fois ironique et réaliste. La nature est productive, on l’oublie souvent, et cette productivité naturelle nous est vitale. Or celle-ci n’est plus constante mais décline ». Depuis 2015, Nicolas Floc’h travaille sur son nouveau projet à long terme d’exploration sous-marine.L’artiste plonge dans les mers et océans français et japonais et répertorie les territoires sous marins. En résidence dans les Calanques, il remonte à la surface avec 20 000 photographies, témoins des conséquences de l’activité humaine. Le choix du médium n’est pas anodin. « Je travaille de plus en plus en photos pour son économie de moyens et une mise en jeu de matériaux plus limités. » Nicolas Floc’h pense la question de la production de nouveaux objets et de déchets, à une époque où, selon les chercheurs du Weizmann Institute of Science, « la masse mondiale produite par l’homme dépasse toute la biomasse vivante ». Le choix de ce médium lui permet aussi une diffusion plus large. 75 des 20 000 photographies sont exposées dans des lieux d’art, des tirages sont offerts à des lieux divers locaux – restaurant, librairies, écoles. La production de ses oeuvres est le fruit d’un processus collaboratif qui se partage avec des pécheurs, des acheteurs, des artisans, des collégiens, des lecteurs, mais aussi des fondations (Thalie, Carasso, Tara et Camargo), des institutions (Frac Lorraine, Frac Paca, centres d’art, Museum national d’Histoire naturelle) et des instituts (Ifremer). Parce qu’il ne se cantonne pas au monde de l’art, l’artiste collabore avec des scientifiques et l’ensemble du fond tiré des côtes sous marines est mis à leur disposition. « Nous avons besoin d’une diversité de regard et de représentation pour approcher ces espaces dans leur complexité. Or aujourd’hui nous avons un savoir scientifique mais le savoir empirique nous manque. »

Immergé dans les milieux naturels et culturels, Nicolas Floc’h aborde des notions existentielles telles que se nourrir, échanger et habiter. Avec les récifs artificiels, qu’il photographie et reproduit en sculpture, il révèle la relation que l’homme entretient avec la nature selon les pays. Au Japon, ces Structure productives, comme il les nomme, permettent de réparer les méfaits de la surpêche en favorisant la productivité dans un espace ouvert naturel. Elles accompagnent. Ailleurs l’homme tente vainement de recréer ce que la nature a produit. Pour l’anthropologue britannique Tim Ingold, l’art de l’enquête de certaines pratiques artistiques pourraient d’ailleurs inspirer une autre manière de faire de l’anthropologie. Or, en décidant de photographier au grand-angle, en lumière naturelle et de tirer en noir et blanc, l’artiste se situe dans la lignée des photographes des grandes missions exploratrices dans l’Ouest des Etats-Unis tel Timothy O’Sullivan et John K. Hillers, qui permirent la découverte de ces paysages et la création des parcs nationaux naturels. Ses photographies rappellent aussi les photographes de la Grande Dépression, tel Walker Evans et Dorothea Lange. En s’immergeant comme eux, il abolie la distance entre le sujet et le photographe, pour témoigner de son époque. Et, se posant à contrecourant des photographies exotiques de poissons multicolores, des représentation de l’homme explorateur nageant dans le paysage, ou de la nature comme reflet de nos états d’âme, il nous incite à interroger la manière dont les images façonnent notre représentation du monde.

Nicolas Floc’h mêle l’art et la vie par l’intermédiaire de la représentation et du savoir empirique. Il se situe à la lisière de plusieurs monde, activités et médiums – la sculpture, la peinture, la performance et la photographie -, et nourrit ainsi nos réflexions sur notre rapport au monde, en participant à cette nouvelle attention portée aux écosystèmes et aux interactions qui les régissent.

Invisible, Seascapes, Nicolas Floc’h, Fondation Thalie, Du 21 mai au 11 juillet, plus d’informations en suivant ce lien.

Retrouvez le podcast Parole de créateur face à l’urgence écologique : Nicolas Floc’h et Syvlain Agostini en suivant ce lien.