Ce sera le festival qui ouvrira la saison des festivals de danse :  la Biennale de Lyon commencera le 1er juin pour deux semaines de spectacles dans différents lieux de la ville. Au programme, Dimitri Papaioannou, le Ballet national de Lyon, Robyn Orlin, Josef Nadj ou (La) Horde…Rencontre avec sa directrice, Dominique Hervieu. 

Comment appréhendez-vous cette Biennale dans un contexte si particulier ? 

J’éprouve d’abord un sentiment de soulagement :  j’ai bien fait de maintenir le bateau prêt à partir, le pire aurait été que les salles rouvrent, et que nous ne soyons pas prêts. C’était très compliqué, mais nous avons tenu, en nous occupant des reports, des artistes qui ne pouvaient pas venir…Nous avons connu des moments de découragement, puisque nous naviguions à vue, et dans le brouillard, mais je ne regrette pas d’avoir emmené les équipes et les artistes jusque-là, pour ouvrir le bal des festivals d’été

Dans votre programmation, on retrouve des artistes confirmés, comme le Ballet national de Lyon, et des artistes moins connus, des jeunes, dans ce lieu très singulier, que sont les usines Fagor…

Quand j’ai commencé à réfléchir à ce lieu dédié à la jeunesse, c’était avant le Covid, mais cette période n’a fait que renforcer ma conviction qu’il fallait un lieu comme celui-ci. La jeunesse a été à bien des égards sacrifiée, notamment chez les danseurs. La jeunesse dans une vie de danseur est essentielle, c’est le moment de la fin de la formation, il faut que ce soit fait dans la continuité, or là, les auditions se sont arrêtées. Et la question de l’entraînement fut particulièrement complexe : comment un danseur peut-il s’entraîner dans sa cuisine ?  J’ai toujours été en contact avec les jeunes danseurs au cours de cette période,  et je sais qu’ils ont souffert. Aux usines Fagor, ils vont pouvoir reprendre leur place, et une place importante. 

Comment ces jeunes interprètes se sont-ils préparés à leurs créations  ? 

Ce fut pour certains compliqué par la pandémie : un exemple, le chorégraphe et cinéaste Christophe Haleb va normalement dans la ville, s’infiltre dans des lieux underground où les jeunes ont des pratiques de sport extrême, de méditation et nous en ramène des images. C’est son talent, il s’infiltre parmi ces jeunes qui lui dévoilent leurs modes de vie, et la manière dont ils construisent leurs identités. Ce fut évidemment difficile pour lui pendant le confinement ! Mais il a trouvé d’autres solutions. Même chose pour l’exposition d’Irvin Anneix, Cher futur moi, fondée sur sa série de documentaires de collégiens ou de jeunes qui s’adressent à ceux qu’ils seront dans dix ans. Ces films génèrent beaucoup de frontalité, c’est assez poignant sur certains sujets, et la façon dont ils voient l’avenir. On a pu, malgré tout, l’aider à aller dans les collèges, mais aussi en Afrique…Cette nouvelle génération nous a surpris, elle travaille vraiment en réseaux, de façon très informelle, elle tisse des liens. 

-Pouvez-vous nous parler des artistes qui représenteront Africa 2020 pendant le festival ? 

Il y aura notamment le nigérian Qudus Onikeku. C’est un danseur que j’avais repéré, comme performeur, il y a dix ans. C’est un performeur au sens de soliste, il a une présence folle. Là aussi, il s’appuie sur la jeunesse, ici celle de Lagos, c’est une jeunesse différente de la génération précédente, il se place au cœur d’une zone d’influences multiples, liée à Instagram et Internet, de tous les pays d’Afrique, et des Etats-Unis. Ces jeunes ont moins cette espèce de fascination enfermante pour la France et l’Europe, qui aurait pu contraindre leur inventivité, et formater leurs démarches, ils reviennent beaucoup plus à leur culture. Qudus Onikeku partage sa culture yoruba : pour nous c’est un voyage, vers un nouveau rapport au temps, à la mort. Ses danseurs sont afro-urbains, ils portent les danses de rue, de club, et en même temps, ils sont très proches de leurs danses traditionnelles. 

Lorsqu’on regarde la programmation, il est frappant de voir comme les différents courants de danse sont présents, d’Olivier Dubois à Dimitri Papaioannou, de Robyn Orlin à Josef Nadj…

J’ai toujours eu ce désir de montrer le meilleur de toutes les écoles. Ceux qui m’intéressent sont les chercheurs qui ont abouti leurs recherches, avec des esthétiques extrêmement affirmées, singulières. La question n’est pas de savoir si on est un ludique, un baroque, mais si le parti pris de l’auteur est cohérent et puissant. Cette pluralité critique m’intéresse, de Papaioannou et de son minimalisme, jusqu’au lâcher d’Onikeku…Je n’aime pas les positions dogmatiques, je n’impose aucune ligne. Je n’ai jamais travaillé dans ce sens-là. On est dans une époque comme celle-ci, les emprunts ne cessent pas, les références sont multiples, de Pina Bausch aux clubs de Lagos. Je ne trouve pas qu’un ballet narratif soit ringard, et il y a des œuvres politiques qui sont importantes, et d’autres qui sont naïves.

Les formes aussi sont très diverses selon les scènes, du TNP de Villeurbanne aux usines Fagor…

À Fagor, il n’y a presque pas de lumière, un système de son basique, et ce sont des performances, des «expériences », comme celle de Noé Soulier avec quarante jeunes danseurs, dans un lieu qui n’a pas été pensé pour le spectacle. Ce sont des effractions chorégraphiques. Mais ça n’aurait pas de sens de demander à Dimitri Papaioannou au travail millimétré de jouer dans un lieu comme Fagor, il lui faut un TNP. Mais il faut aussi un lieu comme Fagor, pour changer les formats de la représentation. 
Biennale de la Danse de Lyon, du 1er au 16 juin, plus d’informations sur www.labiennaledelyon.com