Inédit en vidéo en France, et à moitié réalisé par Douglas Sirk, Ne dites jamais Adieu est pourtant à ranger au sommet de l’œuvre du maître du mélodrame flamboyant.

« Ma fille n’adorera pas le souvenir d’une femme qu’elle déteste. » Comment peut-on écrire une réplique comme celle-ci ? Relisez-la. Comment parvient-on à conduire le spectateur à la saisir et, surtout, à la prendre au sérieux ? Il n’y a que le mélodrame avec ses excès, ses oppositions paroxystiques, ses retournements de situations qui permette d’accepter une telle phrase. Et nul autre que son maître, Douglas Sirk, pour transformer ces quelques mots, à la lisière de l’absurde ou de la folie, en torrents de larmes. L’histoire du cinéma est un tombeau : combien de films morts, oubliés, brûlés ? Combien de merveilles comme celle-ci, ignorée même de ceux qui chérissent son réalisateur ? Sorti en 1956, Ne dites jamais adieu est un film réalisé par Jerry Hopper qui avait repris un tournage entamé par Sirk (lequel était parti filmer Écrit sur du vent). Pourtant le maître du mélo aurait réalisé de nombreuses séquences, notamment celles avec le portraitiste campé par son ami George Sanders. Sirk ne serait donc pas le réalisateur principal mais il avait tout mis en place, à la façon d’un peintre dans son atelier, ne laissant à son successeur qu’à suivre le patron qu’il avait mis en place. De la peinture, on retrouve d’ailleurs ces couches surréalistes de bleus et de roses en Technicolor propres au style de Sirk. Il y a aussi Rock Hudson avec qui il tourna neuf films, et dont Sirk avait fait son fils de substitution après avoir été séparé du sien quand ce dernier avait quatre ans. Inspiré lointainement de Comme avant, mieux qu’avant de Pirandello, le scénario est rocambolesque, presque absurde : Michael Parker, un médecin américain retrouve dans un bar son épouse qui avait disparu à Vienne peu après la guerre. Mais Michael a dit à leur fille que sa mère était décédée. Ne pouvant se résoudre au choc qu’elle lui ferait subir, elle revient au foyer en se faisant passer pour sa belle-mère. Une histoire sirkienne en diable donc : les fantômes de la guerre, la séparation, la culpabilité, une enfant trahie, rudoyée par des adultes qui essaient de recoller les morceaux avec maladresse, violence, et conformisme. Malgré la bêtise et la fadeur de son personnage principal, Sirk réussit à le rendre aimable et touchant. Dans ce film de peintre, qui s’étonnera que ce soit le seul artiste de cette folle histoire, l’esthète, qui parvienne en un coup de crayon à accomplir un miracle : ressusciter une mère ? Qu’importe si Sirk n’a pas réalisé entièrement ce film nourri de mythologies et de psychanalyse. Si vous aimez Sirk, vous avez loupé un de ses grands films. Miracle : lui aussi est ressuscité.

Ne dites jamais adieu de Douglas Sirk avec Rock Hudson, George Sanders, Clint Eastwood… Combo Blu-ray DVD, Elephant Films