Les Rencontres d’Arles ne joueront pas les Arlésiennes cette année. Le endless summer de la photographie aura bien lieu. Avant-goût d’une programmation à la belle ambition.

La Covid encalmine, les masques musèlent, le monde semble immobilisé dans sa vaste course. Aussi est-ce avec un à-propos particulièrement bienvenu que les Rencontres d’Arles se placent, après le point mort de l’édition 2020, sous le signe du mouvement. « Engagement », « résistance » : quelque chose comme une pulsion, un désir d’action est perceptible derrière les mots du nouveau directeur, Christoph Wieser, qui reprend, comme en suivant l’injonction de Goethe (« Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le en sorte de le posséder. ») le flambeau des mains de Sam Stourdzé. 

Est-ce l’épidémie qui a aiguisé notre attention à ces zones et ces états où tremble la normalité prétendue ? Toujours est-il que la section « Identités/fluidités » porte haut les couleurs miroitantes de la métamorphose : mutation des masculinités, avec une expo prismatique, collective pour retracer l’histoire de ses dernières, ou encore (et c’est sans doute le plus beau titre des Rencontres), Désidération (Anamanda Sîn) de SMITH, qui appelle à consteller de nouveau mythes le cosmos. Appel au catastérisme qui résonne étrangement avec Puisqu’il fallait tout repenser, qui recompose le cosmos de l’art le long de lignes de force féministes. Quant à The New Black Vanguard, elle déplace la mode vers l’art et réciproquement, tout en faisant tourner un carrousel de questions autour du corps noir.

On ne complimentera pas – ce serait le pavé de l’ours – les Rencontres sur leur âge, mais sur leur éternelle jeunesse, tant elles s’emploient à faire bouger le monde de la photo, à en rebattre les cartes en introduisant de nouveaux noms. Ainsi la section « Emergences », judicieusement mise au pluriel, avec le Prix Découverte Louis Roederer, dont la tête pensante, et chercheuse, Sonia Voss, a réuni onze jeunes photographes. De Mariana Hahn, qui étire l’histoire de la photo jusqu’à Pompéi à Massao Mascaro qui place son objectif dans le sillage d’Ulysse et sur les rives de la Méditerranée contemporaine, les images dites abusivement « fixes » témoignent de leur étonnante plasticité, épousant autant l’Histoire que l’aujourd’hui.

« Atlas » : le titre de cette section est à la fois juste et trompeur. Juste parce qu’il s’agit bien, à travers des expositions comme celle de Stéphan Gladieu, Anton Kusters ou Chow & Lin d’arpenter la Corée du Nord, ou ces enfers sur terre que fut le territoire nazi, ou encore des dizaines de pays pour tenter de capturer ce Protée qu’est la pauvreté. Mais trompeur, cet « Atlas », car il s’agit moins de cartographier que de donner à entendre les craquements et les déplacements d’une tectonique humaine, comme dans l’expo collective Thawra ! où frémit et éclate la contestation au Soudan.Ce n’est pas parce qu’on est propulsé vers l’avant qu’on ne peut pas tourner la tête en arrière – et au demeurant « avant » et « arrière » ne signifient rien dans l’histoire bien comprise de la photo telle qu’elle apparaît dans les « Relectures ». Ne serait-ce que, comme dans le cas de Jazz Power ! Jazz Magazine, vingt ans d’avant-garde, parce que ce passé était lui-même tout entier tendu vers l’avant. Ou que, comme dans le cas de la grande Sabine Weiss – 96 ans aujourd’hui – l’œuvre soit un terrain d’explorations infinies. Comme le sera Arles, cet été, qu’on sillonnera dans tous les sens.

Arles 2021, Les rencontres de la photographie, du 4 juillet au 26 septembre

Plus d’infos : https://www.rencontres-arles.com/fr