Le temps d’une riche expo – et avec tout un volet en ligne – La Villette devient une pépinière de jeunes artistes. Rapide cueillette, le temps d’une visite.

S’il est vrai que la jeunesse est pétrie d’esprit de contradiction et que, à défaut de rejouer la partition de 68 tous les printemps, elle a peu de goût pour les uniformes et l’uniformité, alors le cinquième cru de Sorties d’écoles est le péché de jeunesse par excellence. Cette expo polycéphale (près d’une dizaine d’écoles, des Beaux-Arts de Paris au Fresnoy, et près de 140 jeunes diplômés issus des rangs de ces dernières), polymorphe (vidéo, peinture, installations, photo, tous les médiums sont réquisitionnés), n’a rien de policé. D’abord parce que sa seule tenue (ici, une parenthèse avec les considérations tristement habituelles sur la fermeture des lieux culturels, etc., etc.) est un réjouissant et retentissant « fuck you » adressé à la Covid. Mais aussi et surtout parce que ces jeunes pousses poussent, justement, leurs, pratiques, leurs modèles, leurs matériaux dans leurs retranchements, se confrontant frontalement à leurs limites ou leur faisant de subtils crocs-en-jambe. 

Pour la première fois, 100% L’Expo – Sorties d’Écoles investit le parc de La Villette avec un parcours d’installations et une exposition de photographies en plein air, occasion unique pour découvrir le parc à travers le prisme de la jeune création contemporaine.

100% L’Expo – Sorties d’Écoles vous donne également rendez-vous sur son site internet et ses réseaux sociaux pour vous proposer une offre digitale exclusive, spécialement conçue avec les artistes de l’exposition: podcasts, cartes blanches numériques ou encore projections en ligne de la Fémis sont à découvrir durant toute la durée du festival.

Voici Jean-Charles Bureau (Beaux-Arts de Paris), déjà remarqué chez Le Feuvre & Roze, et ses toiles installées contre un mur, en spirale et par taille décroissante. On suit des yeux la courbe que forment les tableaux et on arrive à un ventilateur, bien réel celui-ci. Incongruité et facétie, certes, mais aussi façon de donner à cette peinture si soucieuse de l’espace et de son occupation l’occasion d’échapper à cet espace – à ce qu’il pourrait supposer de confinement, en lui imprimant un mouvement tourbillonnaire. Plus loin, c’est Terencio Gonzalez (Beaux-Arts de Paris) : un trio de toiles qui évoquent d’abord, à distance, un hommage à Rothko, dopé par la luminosité des teintes. Approchez-vous, et voilà que ça se détraque, que ressort un côté bricolo, D.I.Y., comme si l’abstraction et sa cérébralité étaient moqueusement prises à partie, replacée dans le courant de la vie – toujours brouillon, tâtonnant et imparfait.

Marion Maimon (école des Gobelins) travaille elle aussi la lumière. Ou plutôt, ses tirages argentiques de végétaux, placés dans des caissons lumineux, laissent travailler la lumière : celle-ci s’épanche, gaine les feuilles, les nimbe d’une étonnante aura. Et contredit ainsi ce que cette même lumière, qui fige scènes et objets, peut avoir de mortifère en photographie. Comme une inversion des valeurs. Même jeu d’interversion chez Fabien Léaustic (ENSAD), qui, très proustiennement et très littéralement, tire tout un monde d’une tasse de thé, ses Théinographies se fondant sur l’observation des phénomènes physiques à la surface d’une infusion et sur le schéma d’une projection cartographique du globe. Microcosme et macrocosme deviennent interchangeables, l’infime et l’universel se confondent. D’autres s’inscrivent certes dans d’intimidantes filiations, mais, au lieu de se laisser empoisonner par l’imitation, ils s’en nourrissent comme d’un sang vivifiant. Comme Yoann Estevenin (Beaux-Arts de Paris). Son Bruit des narcisses, avec son onirisme languide, la fragilité de pastorale que lui donne l’emploi du pastel, mais aussi la violence des brûlures infligées ici et là, retrouve toute l’ambivalence du surréalisme ou du romantisme allemand : un monde noctambule troué de ces éclairs assassins, déchirants, qui manifestent une révélation, une malédiction, qu’importe. Contradiction féconde, à l’œuvre d’une autre façon dans une des plus belles pièces de l’expo, le Soleil Noir d’Alice Brygo (ENSAD). Cinq panneaux de plexiglas comme les vitraux d’une chapelle contemporaine – mais inspirés par les schémas d’une bombe à hydrogène – mais aussi par l’imagerie de cette mystique de l’énergie qu’est l’alchimie – mais évoquant aussi la symbolique colorée d’Hilma af Klint – mais… Je m’arrête là, mais rien n’interdirait de poursuivre l’enchaînement des récits, le voyage au cœur des traditions, ce télescopage permanent fonctionnant comme un antidote au confinement dans l’une ou l’autre. Le genre d’antidote dont on a particulièrement besoin aujourd’hui…

100% L’Expo – Sorties d’Écoles à La Villette, du 31 mars au 16 mai .

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