Bien à l’abri du virus dans ses « viewing rooms », Art Basel ouvre ses stands en ligne du 25 au 27 mars. Et prouve que l’art contemporain, masque ou pas, est bien vivant, toujours prêt à expérimenter…

La vieille dame suisse – taulière tricéphale de l’art contemporain, Basel depuis les seventies, puis Hong-Kong et Miami – est toujours d’une insolente jeunesse. Non seulement elle se joue de la Covid et déjoue l’assignation à résidence qui paralyse le monde de l’art en jouant sur le numérique : ses cimaises, comme celle de la Fiac, sont virtuelles. Mais, de surcroît, cette foire en ligne a sa ligne, résolument révolutionnaire – « Pioneers », tel est le pavillon sous lequel sont regroupées rien moins qu’une centaine de galeries, rodées la plupart au circuit des grandes foires, mais toujours animées par l’ardeur des têtes chercheuses d’aujourd’hui ou du XXe siècle qu’elles présentent. 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un     art contemporain conçu comme une recherche inlassable, qui rend ses lettres de noblesse à la notion d’expérimentation. Et rappelle qu’il ne s’agit pas de bidouillages plus ou moins complaisamment spectaculaires, mais bien d’interroger, de mettre à l’épreuve – comme on parle d’épreuve du feu – les différentes pratiques artistiques.

En n’hésitant pas, par exemple, à recourir à l’hybridation intensive. Ainsi, notre première étape, est pour Daniel Templon, avec le sculpteur américain George Segal, mort en 2000, estampillé « pop art » dont les silhouettes colorées, badigeonnées de peinture, semblent avoir endossé un rôle mystérieux dans un petit théâtre qui ne l’est pas moins. Sculpture, tableau, rêve de scénographie ? C’est tout ça à la fois, dans un joyeux dédain des distinctions. L’hybridation, certaines galeries en sont d’ailleurs devenues de véritables laboratoires : c’est le cas de Chantal Crousel, avec Mona Hatoum, et ce buste orné d’un collier, qui confronte la plus classique des poses et des présentations à un matériau inattendu – les cheveux qui constituent, modelés en petites sphères, les « perles » du collier.

Distendre les limites de l’art, c’est aussi travailler sur l’élasticité des matériaux – leur élasticité esthétique, leur capacité à se transfigurer. Ainsi chez Air de Paris, les photocopies de l’Américaine Pati Hill (décédée en 2014) suscitent des œuvres aux mille nuances méticuleuses, qui défient la modestie de la technique, telle cette image d’une blouse de labo qui a une texture, des grisés à rendre jaloux graveurs et peintres. Chez Lelong, qui présente un quatuor de femmes, Ana Mendieta, Carolee Schneemann, Mildred Thompson et Nancy Spero, on retient chez cette dernière une œuvre sur papier comme Search and Destroy, D.O.W. N.A.P.A.L.M, dont le titre dit assez qu’il s’agit de confier au fragile support tout l’excès monstrueux de la guerre. Quant à Fautrier, dont on se délectera, chez Applicat-Prazan, des sublimes Chrysanthèmes sur une table de 1927, mais surtout des extraordinaires Variations chromatiques de 1958, faut-il rappeler à quelles limites il a emmené la peinture – sa pâte, ses couleurs ?C’est qu’il s’agit de lui imprimer une bonne secousse à l’« Art », qu’il faudrait écrire avec un accent circonflexe et plusieurs « R » lorsqu’il se sclérose. Et pour ça on peut faire confiance à Raymond Pettibon, chez Sadies Cole, qui présente des dessins des années 80. Cases de BD, Unheimlichkeit du quotidien US : un vrai sabotage de la respectabilité artistique. Et que dire des photos du métro de NY de Bruce Davidson (Howard Greenberg Gallery) où le grand photographe croque, au début des années 80, des passagers ? Notamment ce génial portrait de groupe, de 1980 – comme une pochette d’un LP oublié des Ramones… Et c’est sans doute ça expérimenter, plier l’art pour le faire sortir des sentiers battus : être punk. Et punk, on l’est, en s’interrompant là, alors qu’il faudrait mentionner Marina Abramovic à la galerie Krinzinger, Frank Stella à la galerie Marianne Boesky, et des dizaines d’autres… Mais on vous laisse faire l’expérience !

Art Basel, OVR : Pioneers, en ligne, du 25 au 27 mars, https://www.artbasel.com/ovr