L’affiche du Festival, signée Théo Mercier, invite à la réflexion et à la lumière. Et ce fut la tonalité affichée de la présentation de ce mercredi 24 mars ; la raison et l’espoir sont en vigueur à Avignon, comme l’a répété maintes et maintes fois Olivier Py dans sa présentation. « Nous sommes raisonnablement optimistes », ou « optimistement raisonnables » assure-t-il jusqu’au bout de cette conférence de presse, à distance, face aux questions, à distance, de journalistes, à distance. Le festival sera, essayons de ne pas en douter en ce printemps difficile, la splendide fête de réouverture théâtrale en France. C’est ainsi, en tout cas que chacun le souhaite et le prépare depuis déjà plusieurs mois, de l’équipe du festival aux artistes, jusqu’à la ministre de la Culture, apparue lors d’une brève mais enthousiaste vidéo enregistrée une semaine plus tôt. « Se souvenir de l’avenir », intitulé du festival, promet ainsi une programmation qui n’ignore pas la gravité de cette année écoulée, mais fait entendre aussi les possibles utopies d’un monde d’après, ce qu’Olivier Py nomme, dans son texte programmatique, « une effraction du possible ». 

Dystopie et utopie

 L’optimisme se déploie avant toutes choses dans le nombre de propositions scéniques, plus de 40, de créations, 39, et des deux expositions qui auront lieu au cours d’un festival légèrement rallongé. Mais il s’entend surtout dans la jeunesse et la variété de cette programmation. Car, outre le choix assez peu risqué d’une Cerisaie dans la Cour d’Honneur avec en rôle-titre Isabelle Huppert, et à la mise en scène le portugais Tiago Rodrigues, devenue un nom établi et très attendu du théâtre européen, ce sont une grande part de textes contemporains, d’auteurs-metteurs en scène, de noms moins connus du grand public, qui tracent la ligne du festival. Ainsi, trois jeunes femmes talentueuses qui font déjà naître, ici dans notre équipe, une forte attente : Caroline Guiela Nguyen, auteure et metteure en scène, dont la pièce Saïgon, il y a trois ans, s’était avérée une révélation esthétique et publique. Elle proposera à la Fabrica, une pièce au titre mystérieux, Fraternité, conte fantastique, dystopie ou utopie postapocalyptique où des personnages de seize à soixante ans tenteront ensemble de bâtir une image possible de l’avenir. 

Cette volonté de raconter une communauté se retrouvera chez Anne-Cécile Vandalem, qui achèvera à Avignon sa trilogie, entamée par Tristesses, et Arctique, présentée il y a trois ans à Avignon. On y retrouvera sa plénitude narrative, mais aussi technique et scénique, dans une fable placée en Sibérie, entre deux familles qui, du rêve premier de vivre dans les contrées sauvages, dériveront. On retrouve cet intérêt, artistique et politique, pour les métamorphoses des communautés qui faisait déjà la valeur de Tristesses. Une autre metteure en scène pourrait emprunter ce sentier du trouble, c’est Laëtitia Guédon, qui offrira sa lecture de la superbe pièce de Kleist, Penthésilée. Ici, nous dit-elle, il sera question de la reine des amazones, pour s’interroger sur le lien qu’entretiennent les femmes « avec le pouvoir, et la puissance ». Ces trois voix singulières et amples, sont entourées d’autres créations contemporaines. Ainsi, nous nourrirons un véritable intérêt pour Une femme en pièces de l’auteur et réalisateur Kornel Mundruczo, pièce dont l’adaptation Pieces of a woman, film puissamment intime diffusé sur Netflix, promet un théâtre habité et incarné. Mais aussi pour Felwine Sarr qui s’empare de deux figures d’écrivains de combat, René Char et Frantz Fanon, pour Emma Dante, qui présente deux spectacles, ou pour le Gulliver de Madeleine Louarn et Jean-François Auguste qui nous offriront, comme à leur habitude, une rêverie nécessaire. Laurent Gaudé, grand habitué du festival, présentera une pièce à l’intrigue prometteuse, La Dernière nuit du monde, dystopie où l’homme n’aurait plus besoin de dormir, mise en scène par Fabrice Murgia. En danse, les premiers échos promettent beaucoup du spectacle de Jan Martens, inspirée de la résistance passive et au titre évocateur, Any Attempt will end in crushed bodies and shattered bones. La chorégraphe sud-africaine Dada Masilo, a parlé avec beaucoup d’intelligence de sa création inspirée de Stravinsky et des danses du Botswana, Le Sacrifice. Et bien sûr, dans la cour d’honneur, Sonoma de Marcos Morau, intrigue déjà par son dialogue fastueux entre tradition et modernité. 

Un festival qui sera aussi nourri d’images grâce aux «  Territoires cinématographiques », qui orchestreront au cœur d’Avignon, dans l’antre cinéphilique rêvé du cinéma Utopia, des rencontres et des projections avec les artistes du Festival, en partenariat avec Transfuge. 

Bref, nous y serons, et nous cheminerons au gré de la raison, et de l’optimisme qui se veulent les lignes claires de cet Avignon 2021. Dans son texte, Olivier Py formule une certitude qui est en soi un espoir fou : « la folie artistique, l’enthousiasme paradoxal des foules, la catharsis joyeuse nous invitent à croire que demain n’est pas écrit. »