Cette année le Festival de Berlin se tient en ligne. Transfuge suit pour vous cette édition inédite.

 Il y a un an, avec quelques amis et collègues, nous avions quitté Berlin sur la joyeuse impression d’un renouveau. Suite à l’arrivée de Carlo Chatrian, son nouveau directeur artistique, le festival nous semblait sur le point de retrouver sa place d’exception quelque peu perdue au cours de ces dernières années. Grâce à la présence d’auteurs aventureux et de films exigeants, la Berlinale paraissait sur le point de devenir le plus pointu des trois grands festivals internationaux. 

            Après deux jours de compétition, dans les conditions d’un festival on line, difficile  de vérifier si les promesses de la dernière saison seront exaucées. Comment entre deux tâches domestiques demeurer assez attentif pour répondre à la question contenue dans le titre du dernier film de Radu Jude: Bad Luck Banging Or Loony Porn ? Le cinéaste roumain divise son film en trois chapitres pour raconter la journée et les déboires d’une enseignante dont la sextape réalisée avec son époux a été repérée par ses élèves sur un site porno. Tournée pendant la pandémie, la  première partie suit les déambulations silencieuses d’Emi dans les rues de Bucarest. Judd nous oblige à regarder attentivement la vie dans la capitale roumaine touchée par une sorte de folie comme en atteste l’irruption d’une femme âgée venant insulter le caméraman. Dans la deuxième partie, il effectue un collage d’images d’archives et de photos récentes qu’il accompagne de commentaires acides ou édifiants pour révéler les mensonges de l’histoire, la violence domestique, la misogynie. Radu Judd s’y montre mordant. La troisième partie met en scène le simili-procès d’Emi, laquelle tente de répondre aux insultes et aux vociférations de ses collègues, en citant des philosophes, des poètes et des chercheurs. L’épilogue, composé de trois conclusions hypothétiques, est ravageur, colérique, désabusé et sans cesse stimulant.    

Nous n’en dirons pas de même des deux autres films vus à ce jour, à commencer par I’m your man de l’allemande Maria Schrader à qui l’on doit la série Unorthodox. Cette adaptation d’une nouvelle d’Emma Braslavsky raconte trois jours dans la vie d’une conservatrice de musée aux côtés d’un robot-humain taillé sur mesure pour être son compagnon idéal. Oscillant entre comédie cyber-romantique en demi-teinte et drame léger sur les affres de la solitude, le film demeure terne, ne trouvant jamais un ton original ou percutant. Il lui manque surtout des situations, assez fortes, assez tordues, pour aiguiser notre réflexion.  Natural Night est le premier film du hongrois Denes Nagy. Son goût pour la grande Histoire et son dispositif complexe évoque parfois Le Fils de Saul et le récent Sunset de son  compatriote Lazlo Nemes mais sans en retrouver ni la force ni la grâce. On y suit une escouade de soldats hongrois en 1943 sillonnant les forêts glacées de l’URSS pour extirper des villages les partisans soviétiques. Épousant le point de vue d’un photographe qui, après la mort de son supérieur, doit prendre le commandement de sa faction, le cinéaste tente de mettre en scène le complexe cheminement moral de cet homme face au pire des crimes. Hélas le film est alourdi à cause par un montage tonal uniforme, une lumière sans aucun contraste, un crime hors-champ, des décors aussi boueux que la couleur des uniformes, des visages mutiques et surtout des silences trop lourds de sens. Bref tout l’attirail démonstratif d’un académisme d’auteurs comme il y en aura toujours dans tout grand festival international qui se respecte. Espérons que ce soit le dernier.