Beau pied de nez à la pandémie : la FIAC dévoile une riche édition en ligne. Balade virtuelle et émotions esthétiques bien réelles lors de l’inauguration…

Bénéfice sémantique inattendu de la Covid : je découvre que le « petit écran » de mon ordinateur porte bien mal son nom tant, avec cette FIAC qui se déploie en ligne, au gré de plus de deux cents viewing rooms, c’est un labyrinthe de stands virtuels que j’ai sous les yeux. La FIAC, prévenante, a pensé à tout, et un quintette de guides de luxe – Bernard Blistène, Saim Demircan, Emma Lavigne, Jean de Loisy, X Zhu-Nowell – égrène son choix d’œuvres comme un fil d’Ariane. Mais je choisis de me laisser happer et de flâner sur cet écran d’ordinateur qui finit, à force de glisser de galeries en galeries, par ressembler à une vision de Piranèse ou de M.C. Escher.

Chez Karsten Greve, c’est un son et lumière paradoxal qui baigne la viewing room. Paradoxal, car tissé des teintes les plus élémentaires, noir plus ou moins dégradé, blanc plus ou moins rabattu : Pierre Soulages et Pierrette Bloch, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, jouent en chambristes parcimonieux de la lumière et de la nuit. Les incisions horizontales de gris chez Soulages (Peinture, 181 x 92 cm, 6 septembre 2017, 2017), la criblure pointilliste de touches d’encre diversement diluées chez Pierrette Bloch (Untitled, ca. 2011), sont autant de partitions visuelles d’une leçon de Ténèbres rêvée.

Chez Lelong, la mise en musique est la même, économe de ses effets, obéissant à l’impératif d’une réduction – qui n’est jamais amoindrissement. Le tangram visuel d’Etel Adnan (Untitled, 2020), aux couleurs ferventes et acides emboîtées dans des zones aux teintes argileuses, sont comme les tesselles élémentaires de la peinture de paysage : un cadastre visuel. Retour analogue aux composantes primitives, comme décantées, de la peinture avec Marc Desgrandchamps (Untitled, 2020) : robustesse cézanienne des aplats de couleur du paysage, césure médiane avec un ruban vertical de blanc, comme le montant d’une croisée, celle, pourquoi pas, de la fenêtre d’Alberti, matrice visuelle de la perspective occidentale. Quant à Jaume Plensa, la figure élongée, blanche de DUNA (white head) (2018), avec son modelé dépouillé et pourtant minutieux, est tout entière absorbée, résorbée dans la rêverie, comme si le verre blanc de Murano se faisait tout esprit. La réduction est devenue sublimation.

Un art parlant

Chez Daniel Templon, au silence de l’involution, on préfère la profusion du verbe : l’art est parlant – mais jamais bavard. Outrance et clameur, c’est le bad taste de l’installation d’Ed et Nancy Kienholz comme arme de destruction massive de l’autosatisfaction patriotique US (The Grey Man’s Parade, 1987). Y répond la subtilité foisonnante, érudite, de Gérard Garouste (La Samaritaine et Jésus, 2020, avec ses très beaux tons de feu et de cuivre), cette peinture-cabale susceptible d’infinies spirales d’associations entre mots et images.

Systole-diastole, contraction puis exubérance, c’est le sentiment que me donne cette balade virtuelle de viewing room en viewing room, et les œuvres présentées chez Nathalie Obadia sont nettement du côté de l’expansion. Le titre de la toile de la Texane Rosson Crow – « maximaliste » autoproclamée et impénitente – suffirait : The Warmth of Others Suns (2019), ou la peinture comme pluralité des mondes. En l’occurrence, une foule serrée de cactus, des effets personnels épars, le tout sous un soleil calcinant, c’est une scène de désert qui suscite mille histoires, mille embardées de l’imagination. 

Ailleurs multidimensionnels

On largue aussi les amarres vers des ailleurs multidimensionnels chez Thaddaeus Ropac, qu’il s’agisse, comme guidés par un Dante qui serait devenu son propre Virgile, de nous faire descendre au nadir de l’Underworld (2021) d’Ali Banisadr, tout en glacis, superpositions et turbulences ou de s’élever vertigineusement jusqu’aux corps flottants dans une apesanteur sidérale – ou amniotique ? – de Baselitz (X-ray lila, 2020). Et même un Sol LeWitt, peu suspect pourtant de prolixité débridée semble, avec cette Open Geometric Structure 5 (1990) rigoureuse comme une équation, envisager une croissance exponentielle – à l’infini, par réplication d’une simple cellule-mère géométrique…

Mais, en « poussant la porte », avec des guillemets puisqu’il s’agit d’un geste virtuel, de la viewing room de Marian Goodman, je suis rappelé à la réalité la plus fondamentale de toutes ces proliférations artistiques : le geste, justement, et le plus originel, celui qui consiste à tracer. Le marbre et le bronze d’une branche de Giuseppe Penone (Indistinti confini – Sapina (Indistinct Boundaries – Sapina), 2012) s’inscrivent obliquement dans l’espace : élan du trait, dynamique d’une diagonale qui appartiennent, suggère ainsi l’artiste, à l’élan et au dynamisme de la croissance des organismes naturels. Mais le trait, s’il est simple n’est pas simple ligne : chez Hiroshi Sugimoto (Opticks 034, 2018), il est zone nébuleuse, frontière entre le rougeoiement et les ténèbres aux nuances indéfiniment graduées. Car le simple est trompeur. « En rien gist tout » lit-on sur un des caissons du plafond du château de Dampierre-sur-Boutonne ou, pour le dire en termes plus contemporains, « less is more » – et la galerie Chantal Crousel le rappelle éloquemment. Ainsi, David Douard, avec trois fois rien, des matériaux humbles comme du plâtre ou de l’alu, nous invite au chavirement émotionnel : Feel it (2020) s’intitule comme une injonction son œuvre. Chez Jeanne Bucher Jaeger, c’est la géniale Evi Keller qui, avec ce trois fois rien que nous dispense la nature, id est la lumière, qui est ce qu’il y a de moins tangible, de plus insubstantiel, crée un paysage minéral, infiniment riche d’accidents colorés, de miroitements rocheux (Matière-Lumière (Stèle), ML-V-20-1017 – Matter-Light (Stela), 2020). Mais il y aurait aussi la fausse évidence enfantine d’un nu de Tom Wesselmann (Rosemary Reclining with Motherwell, 1990) chez Almine Rech, les vertiges magrittiens de Jens Fänge (Looser Grip, Sweeter Lightness) sous leurs aspects de collage surréalisant fait de bric et de broc chez Perrotin, ou encore Ugo Rondinone chez Kamel Mennour, qui fait, littéralement, une montagne de trois pierres (small blue black blue mountain, 2021)… Je n’en finirais pas, comme si cette FIAC numérique était elle aussi en perpétuelle expansion.

FIAC Online Viewing Rooms, ouverture grand public du 4 au 7 mars, https://fiac.viewingrooms.com/fr/