Cette année, la 71e Berlinale se tient en ligne. Transfuge suit pour vous cette édition inédite.

Vous allumez votre Mac, vous ouvrez votre boîte mail, vous cliquez une fois, deux fois. Puis vous branchez l’ordi sur un écran plus grand, celui d’une télévision ou d’un vidéo projecteur. Ça y est : un logo avec un ours rouge apparaît, vous êtes au Festival de Berlin. Pas de Berlinale Palast, pas de déambulations dans la ville à la recherche d’un cinéma de quartier, pas de critiques se réchauffant autour d’un kurrywurst, pas de buzz, pas de Terrence Malick enfermé dans sa chambre d’hôtel, pas de conférences de presse houleuses, pas de camarades de projection… il va décidément falloir faire preuve de beaucoup d’imagination pour vivre intensément cette soixante et onzième édition du Festival de Berlin !  

Peut-être que si cette édition commençait par un très bon film, voire un grand film, on se prendrait au jeu. Allez on essaie… on clique…on ferme les rideaux…on éteint les téléphones… pour regarder Memory Box de Joana Hadjithomas et Kharil Joreige. Deux cinéastes libanais qui depuis près de quinze ans maintenant réalisent des films à la lisière du documentaire et de la fiction pour mettre en scène les fantômes qui hantent le Liban depuis la fin de la guerre civile de 1975-1990. Dans Memory Box, il s’agit de dialoguer avec le passé pour en révéler la part latente. Le film commence à Montréal un soir de Noël très enneigé. Maia et sa fille Alex reçoivent un paquet de Beyrouth contenant des photographies, des cahiers et des cassettes audio, autant de traces de la correspondance que, adolescente, Maia entretenait avec sa meilleure amie pendant la guerre civile. Mais Maia n’a pas très envie de se confronter à ce passé douloureux alors qu’Alex, qui a l’impression de ne rien connaître de sa mère, est terriblement frustrée de ne pas savoir… Comme dans certains de leurs films et installations précédents, Hadjithomas et Joreige réalisent un travail original sur les archives : celles-ci ne sont pas utilisées comme preuves historiques mais sont travaillées et triturées afin d’ouvrir un espace mi-documentaire mi-fictionnel permettant de faire dialoguer les époques et les niveaux de réalité. C’est la partie la plus réussie du film : elle permet de se détacher de la littéralité du propos. Hélas, cette littéralité rattrape trop souvent un film qui semble exécuter un programme théorique car, comme souvent chez Hadjithomas et Joreige, l’ensemble paraît beaucoup trop raide, didactique et forcé. Et le sous-texte théorique est d’autant plus envahissant et lisible ici que les acteurs sont inexplicablement mauvais… Bref, l’ensemble est talentueux mais peine à émouvoir vraiment. Surtout ceux qui, comme moi, sont familiers des problématiques libanaises et du travail de cinéastes qui savent les exprimer avec plus de passion et de poésie.

Introduction

Donc, non, Memory Box n’est pas le grand film espéré. Heureusement cette première journée se concluait avec le nouveau film de Hong Sangsoo : Introduction. Une fois de plus,  le réalisateur coréen prend pour point de départ un conflit moral : celui d’un jeune homme qui tente de se frayer un chemin entre les souhaits et les attentes appuyées de ses parents. Et, une fois de plus, Hong Sangsoo parvient à faire rentrer l’infini de la condition humaine dans l’espace d’un choix à prendre ou d’une décision prise. Plus la situation paraît anodine ou « petite » plus Hong Sangsoo réussit à faire sentir l’indétermination qui caractérise notre condition et notre monde. Au fond, nous sommes tous seuls sur une plage quelque part…face à la mer…dans ce nulle part qu’est toute existence. Du grand art.