Portrait du festival de musique contemporaine Présences à Radio France, le compositeur Pascal Dusapin occupe une place exceptionnelle dans le paysage musical contemporain. Conversation sur ses processus de création, ses sources d’inspiration et le « métier » de compositeur.

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans notre numéro de février!

Pascal Dusapin est un des compositeurs majeurs de notre temps au répertoire prolifique : oeuvres orchestrales, oeuvres pour piano, en musique de chambre, installations sonores ou opéra. Chacune de ses créations est attendue, par exemple son dernier opéra Macbeth underground créé en 2019 à la Monnaie à Bruxelles qui aurait dû être donné à l’Opéra Comique au printemps dernier. Influencé par Xenakis ou Boucourechliev, c’est un musicien singulier et inclassable, qui a développé son propre discours; il a d’ailleurs dirigé la chaire de création au Collège de France de 2006-2007. (…)

Est-ce que c’est un métier d’être compositeur ?

Pourquoi se poserait-on cette question ? Je n’ai aucune autre idée de l’existence que celle que je mène. J’ai fait beaucoup de métiers différents pendant mes études, des métiers de jeunes mais je ne comprends même pas comment on peut vivre sans faire ce travail. Je suis rentré là-dedans sans trop réfléchir, animé par une passion et un feu terribles que j’espère avoir toujours. 

Finalement, qu’est-ce que composer : combiner des blocs de sons ?

Regardez cette règle, cette espèce de Rubik’s cube linéaire ! La base, c’est la ligne droite et puis, si je bouge une des articulations, c’est différent. Il y a une combinatoire, qui engendre des différences. En musique, c’est pareil. Je pense toujours les choses en termes architecturaux, à partir des invariants que sont les éléments de construction que vous pouvez retrouver partout, toutes ces choses qui sont avant la matière que vous traitez. Vous êtes face à des problèmes de construction qui sont abstraits, comme en architecture. J’ai d’ailleurs étudié quelque temps l’architecture. Cela m’intéressait de savoir comment les architectes inventaient, construisaient. C’est un peu une histoire de famille aussi puisque mes deux frères sont architectes et Xenakis était architecte et ingénieur. Regardez, si je prends cette lampe et celle-là, je crée une forme. Si je les bouge, c’est déjà une autre forme. C’est pareil avec un accord. Il faut savoir observer ça. C’est ce principe de combinatoire que j’ai utilisé dans mon oeuvre pour le Panthéon. À partir de quatorze choeurs, cela en donne cent cinquante ! Des heures de musique … 

(…)

Avez-vous créé votre propre méthode ? 

Vous savez, je n’ai jamais vraiment eu de cours de composition. Bien sûr, j’ai appris auprès de Xenakis à l’université ou de Boucourechliev. Mais je me suis construit à la marge. J’ai fait un passage rapide d’un an seulement en auditeur chez Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris. Mais je ne m’y suis pas plu. Les querelles de chapelle entre partisans de musique sérielle ou musique spectrale ne m’intéressaient pas. Au bout d’un an, je suis parti, j’avais besoin de reprendre ma liberté. George Benjamin, qui était très en vue dans la classe de Messiaen m’a dit après-coup : « Tu étais un chat sauvage ! ». J’ai beaucoup appris en lisant, par exemple le traité d’instrumentation de Berlioz. Il faut savoir le lire au second degré. Quasiment toutes ses indications instrumentales sont à repenser avec les instruments d’aujourd’hui. Mais il y a tant à y apprendre. D’ailleurs, j’adore Berlioz. Il y a une idée de génie par page ! J’ai même réduit son opéra Les Troyens pour l’Opéra de Hambourg à la demande du chef Kent Nagano. Je conseille toujours aux jeunes compositeurs de lire ce traité. J’essaie toujours de regarder ça. C’est le métier. Par exemple, je peux mettre deux hautbois sur une même note dans un certain registre. Je sais que ca va « puncher ». Cela, ça vient directement de Berlioz ! »

Mais comment sait-on par exemple que c’est la fin d’une oeuvre ?

En tant que créateur, on peut affirmer : c’est le moment final de la pièce, ça je le sais. Evidemment c’est un peu plus compliqué que cela, mais c’est une intuition. J’aime particulièrement l’adage du peintre Pierre Soulages « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ». Parfois écrire une transition entre deux séquences est une « négociation » totalement physique. Dans ma tête, je bats le tempo (dit-il en mimant le geste d’un chef d’orchestre qui bat la mesure ndlr), j’expérimente. Ce ne sont pas des trucs de compositeurs logisticiens. Quelquefois je me prends en dictée sur le téléphone ou je dis juste le texte, comme ça, j’ai le rythme. Les modes, les échelles de sons aussi, je les ai dans la tête. Par exemple, je peux décider d’un mode et enlever une note. Le fait de ne pas mettre cette note, cela va changer toute la couleur. 

Et comment se renouvelle-t-on ?

ça, c’est un truc de bourgeois. Faire du nouveau, ce n’est pas très compliqué. Ce qui compte c’est « avoir quelque chose à dire ». » Au-delà de la mondialisation des types d’écriture que j’observe, un « académisme contemporain », ce qui m’exaspère à la lecture d’une partition, c’est quand le compositeur « n’a rien à dire ». 

Mais qu’est-ce que cela veut dire « Avoir quelque chose à dire » ?

« Je pense que c’est quand vous avez un discours, vous avez une parole qui vous emmène. » Pendant le confinement j’ai écouté avec mon épouse, tous les matins systématiquement les vingt-sept concertos pour piano de Mozart ! Nous avons écouté trois intégrales successivement. Au fil de cette expérience, j’ai pris conscience d’une chose. Ce qui est intéressant chez Mozart, ce n’est pas l’harmonie, la mélodie, ou l’orchestration. C’est qu’il vous parle et il vous emporte. C’est une conversation. Il a quelque chose à dire. Peut-être que c’est aussi simple que ça ? 

Pour la musique contemporaine, ne faut-il pas une certaine familiarité avec les différents langages pour pouvoir percevoir ce que le compositeur a à dire ?

Je suis bien obligé d’acquiescer à ça. Mais j’ai aussi vu le contraire de la part du public. Tellement de gens sont venus me voir après un concert pour me dire des choses émouvantes. Tout à coup, vous rencontrez l’autre. Ce que vous dites est entendu, de façon quelquefois énigmatique. Sans trop savoir pourquoi cela vous plaît. Je connais cela très bien moi-même. Une musique me parle, même des musiques « à la con »… et puis ça se transforme, ça rentre dans ma musique.  J’ai envie que ma musique agisse, qu’elle traverse la barrière qui existe entre l’émetteur et le récepteur.  

31ème festival Présences, festival de création contemporaine de Radio France, qui se tiendra du 2 au 7 février 2021. Diffusion sur France Musique. Retrouvez toute la programmation en suivant ce lien.