Titon et l’Aurore fut donné en janvier sur la scène de l’Opéra Comique sous la baguette de William Christie. Une pure merveille lyrique, diffusée à la télévision. Notre chroniqueur Nicolas d’Estienne d’Orves fit partie des happy few présents salle Favart lors de l’enregistrement…

Qu’elles sont étranges, ces épiphanies artistiques en temps de Covid. Comme des moments de grâce arrachés au réel, des fleurs poussées dans la muraille. Le spectateur est partagé entre enthousiasme et nostalgie, comme si on soulevait un instant le voile d’Isis, offrant un belvédère sur le monde d’avant… ou d’après.

Trente personnes triées sur le volet, placées un siège sur deux, au centre du premier balcon de la Salle Favart : voilà qui sont les happy few masqués, réunis le 18 janvier au soir, pour la première de Titon et l’Aurore, de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772). 

Opéra sensuel, musique délicate et inventive, célébration des plaisirs, des éléments, de la Nature et du grand air : Titon voit pourtant son baptême sous cloche et à huis clos. Autant dire que l’assistance est happée, comme la lampe attire les phalènes.

Créée à l’Académie Royale de Musique le 9 janvier 1753, cette pastorale héroïque est le parfait exemple du style Louis XV. La Pompadour fut même à l’origine de sa création, car la maîtresse du roi s’identifiait au personnage de l’Aurore. On y voit les amours tourmentées du royal berger Titon et de la déesse Aurore, laquelle chaque matin donne naissance au jour. Las, Titon est aimé de Palès, déesse des bergers, tandis qu’Éole, dieu des vents, voue une passion à Aurore. L’affaire se réglera grâce à l’intervention du Dieu amour… 

L’œuvre est restée célèbre pour être le fer de lance des partisans de l’art français dans la fameuse (et finalement spécieuse) « Querelle des Bouffons ». Loin de ces débats antédiluviens, on découvre un opéra au livret astucieusement troussé (signé Houdar de la Motte et l’abbé de la Marre), et dont la musique rappelle souvent le meilleur Rameau. La comparaison avec le maître dijonnais (de 28 ans l’aîné de Mondonville) est d’ailleurs un honneur et un piège : lorsque Titon s’éloigne du grand modèle, l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous, et la partition pourra sembler inégale. Reste que certaines parties comme la colère d’Eole et la tempête qui s’en suit, sont d’une soufflante beauté.

On s’en doute, William Christie et ses « arts flo » sont ici dans leur jardin. Le chef franco-américain dirige cette musique comme il respire, lui conférant parfois plus de joliesse que d’alacrité, tant il couve cette partition d’un amour de jeune homme et se refuse à la rudoyer. Mais nul autre que lui sent aussi bien cette partition.

C’était un choix astucieux que d’avoir proposé la mise en scène au scénographe et marionnettiste Basil Twist. Les chanteurs partagent la vedette avec des brebis de tissus, des fées de ficelle, des statues de mousse. Toutes les parties ballets sont mêmes dansées par ces personnages animés, conférant un second degré ludique et presque potache à certaines scènes. L’esthétique de Twist est toutefois à double-tranchant : irrésistible dans les parties légères, elle rend un peu triviaux les moments élégiaques, mais sa virtuosité est impressionnante.  

Il faut maintenant rendre hommage à un plateau valeureux, d’un total engagement, malgré la salle vide. 

Si le couple Reinoud Van Mechelen (Titon) et Gwendoline Blondeel (Aurore) est idoine, c’est le duo Emmanuelle de Negri (Palès) et Marc Mauillon (Eole) qui remporte le plus de suffrages. Visiblement inspiré par leurs personnages, Mondonville leur réserve ses plus belles pages. Et l’abattage de ces deux chanteurs (qui sont aussi excellents comédiens et remarquables diseurs ) est souvent roboratif. Enfin, outre l’amour de Jolie Roset et le Prométhée de Renato Dolcini, saluons l’excellence immuable des chœurs des Arts Florissants. 

Filmé durant deux soirées successives par une armée de caméras, ce spectacle est disponible sur la chaine Medici.TV jusqu’à la mi-avril. Un opéra en « distanciel » (mot hideux !) vaut toujours mieux qu’un rideau baissé.

Pour la suite, gardons foi en l’aurore… 

Titon et l’Aurore, de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, direction musicale William Christie, mise en scène Basil Twist, avec Reinoud Van Mechelen, Gwendoline Blondeel…A voir sur Medici.tv jusqu’en avril.