Avec Pahokee, Ivete Lucas et Patrick Bresnan signent un documentaire plein d’empathie et d’espoir sur une jeunesse américaine désavantagée.

Au milieu d’un horizon infini et plat, quelques reliefs : une usine et ses cheminées, quelques tracteurs, des palmiers épars, des guérites de fast-food, des pavillons modestes et des mobile homes. Bienvenue à Pahokee, six mille habitants, trou du cul de la Floride, tout proche des clinquantes Palm Beach ou Miami Beach et en même temps si loin… Pahokee pourrait aussi bien être Archer City (La Dernière séance), Freehold (Bruce Springsteen) ou Modesto (American Graffiti), à savoir le proverbial bled perdu et sans avenir désirable duquel on n’a qu’une envie à vingt ans : se tirer le plus vite et le plus loin possible. Le film d’Ivete Lucas et Patrick Bresnan cible d’ailleurs la même tranche de vie que Larry McMurtry, Peter Bogdanovich ou George Lucas : la dernière année du lycée, quand les protagonistes se retrouvent à la croisée de leur enfance finissante et de leur vie adulte à venir, dans un intermonde aussi excitant qu’angoissant. Là où Pahokee (la ville) diffère des bourgades précitées, c’est que sa population est majoritairement noire et latino, ajoutant la relégation ethnique à la déshérence sociale. Et là où Pahokee (le film) diverge de Lucas et Bogdanovich, c’est qu’il est un documentaire au présent et non une recréation fictive du passé. Suivant les traces d’un Fred Wiseman, Lucas et Bresnan observent et filment en immersion cette communauté de jeunes gens à l’heure des choix, sans commentaire off ni interviews. Ils s’attachent tout particulièrement aux rituels très américains que sont le concours de Miss Lycée ou le « prom » bal. Ces épisodes nappés d’un glamour surjoué sont filmés avec attention et précision, comme si le kitsch des paillettes et des tenues vestimentaires bling bling d’un soir étaient le meilleur moyen pour ces jeunes de contrecarrer la pauvreté économique et culturelle ambiante.

Passé ses premières apparences de morne défilement d’un quotidien banal, le film s’avère très riche en scènes puissantes. Une des lycéennes s’effondre devant son ordi en prenant connaissance des résultats de sa demande d’entrée à l’université : on pense qu’elle a échoué, et puis non, ce sont des larmes de joie, celles d’une fille d’émigrés mexicains sans diplôme. Autre séquence saisissante : une fusillade soudaine qui oblige tout le monde à se coucher à terre, cameraman compris. Incident raciste ? Règlement de compte entre gangs ? Le film ne le précise pas, la scène suffit pour comprendre que le décor de soleil et de palmiers n’empêche pas la violence endémique de la société américaine. La méthode Wiseman produit son effet : après un début timide, le processus d’immersion fonctionne, on s’attache aux personnages, et à la fin, lors de la séquence de la cérémonie de graduation, une émotion puissante monte en nous. On ne sait pas ce que la suite réserve à ces filles et garçons mais ils ont déjà remporté une première victoire contre le déterminisme à l’issue d’une année filmée par les auteurs avec patience, humilité et empathie.

Pahokee, une jeunesse américain, Ivete Lucas & Patrick Bresnan, Arizona Distribution.