Avec Lorenzo, George Miller transforme un drame familial en film de guerre apocalyptique. Et signe un chef-d’œuvre qu’il faut impérativement sortir de l’oubli.


Deux ans après la sortie de Max Max Fury Road (2015), George Miller en proposait une version Chrome, en noir et blanc. Au Festival de Cannes où il officiait comme président du jury en 2016, le réalisateur australien avouait d’ailleurs avoir imaginé le film entièrement en noir et blanc, et muet de surcroît. En voyant la version Chrome, on s’aperçoit que Miller est un grand imagier comparable aux cinéastes du muet tardif.

Intuition confirmée par la découverte de Lorenzo (1992), son film le plus personnel. Dans les années quatre-vingts Miller – qui fut médecin généraliste avant d’être cinéaste – était tombé sur un article relatant le combat de deux parents italo-américains pour imposer une thérapeutique au corps médical. Les médecins ne donnaient que quelques mois à vivre à leur fils de six ans, Lorenzo, atteint d’une grave maladie dégénérative. Mais grâce à « l’huile de Lorenzo » (Lorenzo’s Oil, titre original du film), les Odone permettront à leur enfant de vivre jusqu’à plus de trente ans et de recouvrer une partie de ses capacités motrices, un exploit pour lequel Augusto Odone sera honoré d’un diplôme de médecine.

Avec un tel scénario, le film de Miller aurait pu être un mélo larmoyant et édifiant. C’est tout le contraire : à la façon de la saga Mad MaxLorenzo se donne comme un film de guerre apocalyptique. Quand Augusto découvre dans une revue les symptômes de la maladie de son fils, Miller filme la scène comme une exécution. Alors que les mots « aveugle, sourd, démence, coma, mort » s’affichent en gros plans, Augusto tombe dans les escaliers, et dévale les marches tel un soldat criblé de balles. Afin de guérir de ses blessures, il se lance à corps perdu dans un combat scientifique où les batailles se déroulent dans des bibliothèques et des salles de conférences. Ses armes sont les livres et les concepts médicaux qu’il oppose à un corps médical lent, buté, protocolaire. Augusto expose l’avancée de ses recherches à coups de tableaux, de graphiques. Redessinée ainsi, la maladie de son fils a des allures de monstre. Christina Odone quant à elle, se lance dans la bataille à la manière d’une Amazone et d’une sainte. Telle une pietà, elle demeure nuit et jour à genoux, accrochée à son fils. Lorenzo, lui aussi, se bat. Miller le filme en grand-angle la rage aux lèvres, cherchant à extirper le mal qui a assiégé son organisme. Ce drame intime filmé avec une époustouflante invention plastique rappelle les chefs-d’œuvre de la fin du muet. Si bien que devant ce film extraordinaire – l’un des plus grands de ces trente dernières années – on pense à Sjostrom, à Murnau, à Pabst. George Miller est des leurs.

Lorenzo de George Miller, avec Nick Nolte, Susan Sarandon…Combo Blu-ray DVD, Elephant Films.