Certains titres d’exposition ont les vertus de leurs homologues romanesques, suscitant en quelques mots, parfois faussement banals, tout un climat émotionnel et esthétique. Prendre, donc, l’« Age d’or » au sérieux. Les toiles accrochées au Petit Palais ne sont pas seulement le plus exquis échantillon de la floraison picturale danoise de la première moitié du XIXe siècle, avant 1864 et la défaite face à la Prusse, elles ont toutes en commun une qualité d’éclat, une translucidité qui laisse affleurer et se répandre à leur surface une vibration chaude, intense – celle d’un or venu du Nord. Un or blanc, tant elle semble tamponnée de blanc, cette lumière si soignée, au point qu’on se demande si elle est l’émanation impalpable de ce paysage à grand spectacle géologique que sont Les Falaises de Mons (Mons Klint) de Louis Gurlitt ou le savant dosage de l’artifice et de la science, comme cette rampe de quinquets que règle un factotum dans L’Ecole de modèle vivant à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague de Wilhelm Bendz.

Depuis l’expo de l’an dernier, au musée Jacquemart-André, le « phare », comme aurait dit Baudelaire, de la peinture danoise pour le public français est Hammershoi. Mais il naît juste au terminus ad quem de l’âge d’or, en 1864, et c’est la génération antérieure que le Petit Palais met en lumière – une génération qui a son phare, et non des moindres, Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783-1853). Apprentissage européen, auprès de David en France, puis dans le bain de la clarté romaine, retour à Copenhague où il dessille le monde artistique danois, autorisant les modèles nus à poser à l’Académie qu’il dirigera, mais plaidant aussi pour l’observation sans relâche de la nature, témoin cette Etude de nuages au-dessus de la mer (1826), merveilleux petit précipité atmosphérique.

C’est comme si Eckersberg avait apporté une étincelle : les portraits d’artistes qui se pressent dans une salle de l’exposition resplendissent d’une confiance en soi, d’une conscience assurée des moyens et de l’étendue de l’art. Ainsi Ditlev Blunck saisit le peintre de bataille Jorgen Sonne dans l’intimité créatrice de son atelier, la longue pipe courbée fichée à la commissure des lèvres, traduisant sur la toile le mannequin de fortune, improvisé avec les moyens du bord, qu’il a sous les yeux pour en faire, on suppose, un grand capitaine à la prestance et à la contenance héroïques.

D’autres préfèrent la douce chaleur des intérieurs bourgeois, la tendre carnation des enfants dont on commence alors à se soucier en tant qu’individus, la peinture avivant alors la flamme du foyer et des valeurs familiales. Mais ils ne craignent pas l’exposition au grand jour et, tout comme les scientifiques, dont ils suivaient avec attention les travaux, avaient pris à bras-le-corps la Terre, son histoire géologique et physique, les peintres se mettent, littéralement en campagne, campant leurs chevalets dans la nature danoise. Mais la claire vision réaliste, quasi documentaire, est tamisée par un lyrisme romantique, Les Ruines de Brahehus en Suède de Frederik Sodring mêlant fidélité scrupuleuse au réel et vestiges évocatoires, tout pleins d’une poésie spectrale malgré le plein jour. Question de point de vue sur les choses – au sens le plus littéral du terme, comme chez Christen Kobke qui peint ce qu’il voit depuis la fenêtre de son atelier (Vue depuis une fenêtre de Toldbodvej sur la citadelle). La lumière, en peinture, n’est rien sans l’organe qui la reçoit.

Exposition L’Age d’or de la peinture danoise (1801-1864), jusqu’au 3 janvier, Petit Palais

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