Comment définiriez-vous la spécificité et le projet de Musica ?

On doit repenser des catégories esthétiques : pourquoi isoler la musique actuelle de la musique urbaine et de la musique contemporaine ? Ces catégories – qui ont été définies institutionnellement ces trente dernières années – me semblent absolument dépassées. En effet, avec l’arrivée du MP3 et de YouTube nos usages de l’écoute ont radicalement changé et ces catégories ont perdu leur sens, les enjeux de la création étant aujourd’hui abreuvés par l’horizontalité apportée par internet. Or, la question de la réception a été trop faiblement pensée dans le champ de la musique contemporaine. Musica est un laboratoire où on travaille beaucoup sur la façon dont les gens écoutent de la musique. Nous avons créé une académie des spectateurs pour signifier que la réception est aussi importante que la production. Nous vivons une époque d’innovation sociale nécessaire qui doit toucher les arts. C’est dans la relation au spectateur que cette innovation peut s’inventer. C’est-à-dire dans l’idée que des styles puissent naître d’une interaction accrue entre la production et la réception. Je situe notre travail à Musica à cet endroit-là.

Pouvez-vous donner des exemples d’œuvres présentées au festival cette année qui vont dans ce sens ?

J’en donnerai plusieurs. En premier lieu Teenage Lontano de Marina Rosenfeld, une compositrice américaine très peu connue en France. Dans cette pièce elle déconstruit et recompose le Lontano de Ligeti. Et elle en change l’effectif : la pièce n’est plus écrite pour un orchestre mais pour un chœur. En l’occurrence trente-quatre adolescents dont les voix ne sont pas travaillées. Cette production – rendue possible par le dispositif de l’earscore – permet à des jeunes amateurs de découvrir cette musique et de s’approprier une écriture complexe. Cette composition est emblématique de la façon dont on peut faire changer les cadres car tout le monde peut entrer dans le processus de composition et on aboutit à une représentation sociale de la musique complètement différente. Deuxième exemple : Aria da capo de Séverine Chavrier. C’est le résultat d’un travail de plateau avec quatre adolescents dont découle une écriture centrée sur le langage de l’adolescence qui va à rebours de la tradition dans laquelle le musicien neutralise son identité au profit du groupe. Enfin j’évoquerai la place que nous donnons cette année à Simon Steen-Andersen, un compositeur danois qui réfléchit sur les formats de la musique classique. Il a écrit un concerto pour piano dont le matériau initial est une vidéo montrant la destruction d’un piano. On pense d’abord qu’il s’agit d’un geste nihiliste mais le piano se reconstitue. C’est une pièce emblématique de notre regard sur l’histoire. Est-ce que cela a un sens de continuer à détruire le piano ? Steen-Andersen reprend les arguments de la modernité, les tourne en dérision et essaie de leur trouver une nouvelle issue.

Vous avez aussi imaginé Mini Musica, un festival jeune public…

Oui c’est une initiative très importante pour nous. Elle a pour enjeu de proposer des choses originales à des oreilles non encore chargées de stéréotypes d’auditeur. Je crois que dans le champ de la musique on ne s’est pas engagé avec suffisamment de sincérité à l’endroit de la jeunesse.

Découvrez l’intégralité de la programmation en suivant ce lien.

Stéphane Roth, directeur du festival Musica.