Deux salles pleines à craquer, deux longues standing ovations, des célébrités accessibles et contentes d’être là, un public manifestement heureux de rire et d’être ému ensemble, la présentation de deux films français de la sélection Cannes 2020 marqua sans conteste aujourd’hui quelque chose comme les retrouvailles du public français avec son cinéma. Et quelque part on le comprend : ces deux films – A Good Man de Marie- Castille Mention-Schaar et Les deux Alfred de Bruno Podalydès – présentent des qualités d’écriture et d’interprétation qui peuvent enthousiasmer. Pourtant, je suis un peu, et bien malgré moi, resté à l’écart de la fête. Je m’explique. 

A Good Man a les qualités et les défauts d’ “un film qui traite avec humanité et sensibilité un sujet difficile”. En l’occurrence l’histoire d’un homme trans qui accepte de mettre en parenthèse sa transition physique pour tomber enceinte et donner un enfant à la femme (stérile) qu’il aime. On l’a dit : l’histoire est traitée avec sensibilité, pudeur et “humanité”. Et les actrices (Noémie Merlant et Soko) habitent l’ensemble avec une entièreté généreuse. Pourtant, le film présente des maladresses d’écriture (le personnage du frère, les dialogues explicatifs avec la mère ou le personnel médical). Mais, me direz-vous, des maladresses d’écriture, est-ce si grave que cela ? En principe non… sauf quand le film repose entièrement… sur l’écriture. C’est-à-dire quand,  malgré la qualité de présence des interprètes et un regard sensible, la réalisation ne parvient jamais à nous faire oublier le scénario. Or c’est seulement dans les vides du scénario – qui sont les pleins de la mise en scène – qu’un film peut vraiment nous emporter…

A Good Man

Pour ce qui concerne le film de Podalydès, mes réserves sont différentes. Formidablement interprété, le film est très pertinent et drôle tant qu’il expose son sujet (les difficultés de travailler dans le monde de l’entreprise moderne, avec sa novlangue, ses open spaces et tous ces rituels un peu absurdes voulant favoriser le “vivre ensemble”). Mais une fois cette exposition achevée, que propose le cinéaste ? Eh bien une sorte de retour à des choses anciennes (et, au fond, rassurantes) : retour à l’enfance, au couple, aux expressions artistiques désuètes et donc charmantes (les claquettes, Jean Ferrat, Bobby Lapointe). On regrette – et au fond je pense un peu la même chose d’Effacer l’historiqueavec lequel Les deux Alfredoffre des similarités frappantes (et même des gags identiques) – que la machine comique, une machine faite pour créer du désordre, fasse marche arrière pour in finerétablir de l’ordre. Et on se désole que fasse défaut à ces nouvelles (et brillantes) comédies françaises l’esprit de la screwball comedyet des films de Jacques Tati : une inépuisable surenchère anarchique qui certes dynamite un ordre liberticide mais sans, pour autant, le reconduire à un ordre ancien. C’est, je crois, seulement ainsi que la comédie atteint son but le plus noble : nous laisser au petit matin, grisés et pantelants, sur les rivages d’un nouveau jour. Un jour – un peu comme à la fin de The Party– dont nous ne savons encore rien…