La cérémonie d’ouverture du quarante-sixième Festival de Deauville était traversée, hier soir, par une émotion palpable. Une certaine fébrilité, aussi. On sentait l’envie forte – aussi bien chez les artistes, les producteurs, les distributeurs, les exploitants, le public, que les personnalités politiques présentes – que ce festival, d’autant qu’il arrive juste après le succès de celui d’Angoulême, marque le grand retour des spectateurs dans les salles de France. Espérons de tout coeur que ce ne reste pas un vœu pieux ! Quoi qu’il en soit, dans le contexte actuel, où tout le monde (à son échelle) se sent fragile et un peu précaire, il fut bienvenu – car exactement accordé à l’état du monde – que les deux premiers films présentés en compétition (Minaride Lee Isaac Chung et The Assistant de Kitty Green) proposent des portraits de personnages menacés, nous offrant ainsi un portrait de l’Amérique par la bande, par la marge. Peut-être en effet avons-nous davantage besoin en ce moment de nous identifier à des êtres vulnérables qu’à des héros bigger than life

Minari

Minari raconte la difficile installation d’une famille coréenne dans une région fermière de l’Arkansas. Parviendront-ils à faire pousser des légumes et à les vendre alors que leur terrain est éloigné des grandes villes ? Sauront-ils s’entendre avec la population locale, très bigote et traditionaliste ? Réussiront-ils à surmonter leurs dissensions (une telle vie ne correspond pas exactement à ce que l’épouse souhaitait pour sa famille) ? La façon avec laquelle Lee Isaac Chung tisse ensemble tableau de la précarité et portrait aigre-doux de la famille n’est pas sans rappeler la manière de Kore-eda. Mais – sans qu’il soit aisé d’analyser pourquoi – elle convainc et touche plus. En effet, même si on peut retrouver dans Minaricertains des défauts d’Une affaire de famille (mignonnerie un peu mièvre des enfants, lisibilité du discours) – le film est porté par une intensité et un souffle qui manquaient cruellement à celui de Kore-eda.

Dans The Assitant, Kitty Green, pour son premier long-métrage de fiction, s’attache à un autre genre de fragilité : celle des petites mains humiliées au travail. Jane (fort bien interprétée par Julia Garner, l’actrice d’Ozark), une jeune fille vive et intelligente, travaille comme assistante pour un producteur de cinéma et le film nous propose de l’accompagner pendant une journée de sa vie professionnelle. On est surpris par la justesse sensible et la délicatesse de sentiment – justesse et délicatesse qui permettent au film d’échapper au risque du behavoriousme systématique qui sans cesse le guette – avec laquelle la réalisatrice nous fait sentir l’écheveau de petites humiliations (surtout perpétrées par des hommes) que doit subir la jeune fille. Et on est touché par la mélancolie qui se peint sur son visage à mesure qu’elle comprend intimement qu’elle ne peut se plaindre auprès de personne (même pas auprès de ses parents) et qu’elle doit les accepter (pour elle mais aussi pour les autres) si elle ne veut pas être broyée par le monde du travail.

Voilà le Festival bien lancé donc ! Et nous voilà un peu consolés et rassérénés de partager le sentiment de notre fragilité avec ces frères humains que peuvent être, pour nous, les personnages de cinéma.