Avec Littoral qu’il remonte à la Colline actuellement, Wajdi Mouawad nous mène sur le chemin du deuil, et de la renaissance. 

C’est à l’instant de jouir que Wilfrid apprend la mort de son père. Scène fondatrice qui revient tout au long de la pièce, l’annonce de la mort du père constitue le point névralgique de Littoral. De ce moment tragicomique un jeune homme en plein émoi décroche le téléphone et s’effondre- va découler le ton général de cette pièce éclatante et rude, drainant la conscience constante de la violence du monde. 

En cela, Littoral, écrite il y a plus de vingt ans, porte en elle ce qui hante le théâtre de Mouawad : les mémoires familiales, les sauvageries de l’histoire, et la possibilité de l’amitié, de l’amour, et surtout de la connaissance, pour, non pas échapper à la tragédie, mais la dénouer.  

Le fils donc, tente de savoir qui était son père, ce qu’il a commis. Enfin, le soir où je suis venue, il s’agissait du fils, Wilfrid, incarné par Maxime Le Gac-Olanié, mais il cède sa place, en alternance, à Nour, au visage de l’actrice Hatice Özer, et le périple devient alors celui de la fille. Mais le voyage s’avère de même teneur : une plongée dans les racines d’une famille, d’un pays souffrant. Le voyage d’un individu, et d’un groupe, les sept comédiens qui entourent Wilfrid incarnent tant de rôles au fil de la pièce, de la famille du héros, aux jeunes rencontrés au bord du chemin. Et à leurs côtés, Gilles David, impeccable cadavre si présent, qui suit son fils pas à pas. 

La joie initiatique

Car Wilfrid, jeune homme épicurien et léger, va dès la mort de son père se lancer dans un périple dont il ignore la destination et les conséquences, jusqu’à la terre natale de son père, un pays qui compte tant de morts que les sépultures débordent. 

Alors qu’en 2009, il présentait Littoral à Avignon, dans la majesté de la tétralogie du Sang des promesses,  le temps est ici à autre chose. Pour cette recréation, Mouawad a choisi la mise en scène la plus sobre qui soit, des bandes adhésives délimitent les lieux au sol à la manière de Dogville, et une bande d’acteurs, les jeunes issus du Conservatoire qui portaient déjà Innocence l’année dernière et devaient cette année le recréer, arpentent, en courant souvent, le plateau. Près de trois heures d’énergie inépuisée. Ce sont eux, par leur choix d’un jeu au bord de l’outrance, ce sont leurs corps bondissants, leur synchronicité chorégraphique, et leur évident ravissement à être sur scène, qui confèrent à cette pièce son tragicomique. Et si certains en font plus que d’autres, sans doute est-ce voulu, ils crient, hurlent, pleurent, et c’est bien là le cœur du rituel initiatique : sur scène, ces jeunes acteurs nous racontent avant toute chose la libération de leur jeunesse. Et l’on reconnaît les mêmes acteurs que dans Notre Innocence, il y a deux ans, cette même présence du groupe issu du Conservatoire avec qui Mouawad ne cesse de travailler. 

En cela, Littoral est sans doute la pièce la plus initiatique et ritualisée de Wajdi Mouawad : divisée en plusieurs mouvements, qui pourraient être de longues séquences, le cinéma n’est jamais loin chez lui, Wilfrid va peu à peu se transformer. Pour cela, il devra se confronter au cadavre de son père, puis à son fantôme, et enfin à sa disparition. S’amusant de cette structure ancestrale, Mouawad convoque un chevalier sur scène, Perceval de bande dessinée qui vient mi-grotesque, mi-enfantin, s’inscrire dans l’ombre de Wilfrid. Un peu plus tard, c’est un Tiresias à la langue prophétique que tout le monde moque. Et puis Antigone, et puis Hamlet bien sûr, que l’on n’oublie jamais…

Le jeu de Littoral se révèle donc constant, et dans la salle comble de la Colline, parmi cette jeunesse si fidèle au théâtre de Mouawad, celle-là même qui ressemble aux jeunes acteurs sur scène,  ce sont bien les rires et les exclamations de joie qui dominent jusqu’à la fin, lumineuse, de la pièce. 

Littoral de Wajdi Mouawad, au Théâtre de la Colline jusqu’au 18 juillet.