Editer, c’est, naturellement, lire. Mais quoi, en période de confinement ?

J’ai emporté des manuscrits, j’ai téléchargé sur ma liseuse les PDF les livres étrangers qu’on m’a envoyés. Et le soir je relis quelques pages d’un livre que j’avais un peu oublié,  Cent ans de solitude . C’est une lecture parfaitement gratuite, parfaitement en dehors de tout. 

Une forme de dépaysement qui pourrait aussi qualifier le catalogue de Métailié, tourné vers l’étranger, vers l’Amérique du Sud en particulier…

Il y a au programme de la rentrée deux livres qui n’ont rien à voir avec ce que nous vivons, comme un grand large littéraire absolu. Avec  Patagonie route 203 , d’un Argentin Eduardo Varela, on est au volant d’un camion, c’est le paysage à l’infini, la route… C’est un bon livre de déconfinement je pense ! Il y aura aussi un livre brésilien de Samir Machado de Machado,  Tupinilandia , sur un parc d’attractions imaginaire, construit au coeur de l’Amazonie, et dont s’est emparée, dans les années 80, une bande de fascistes. Vingt ans après, un anthropologue le redécouvre. C’est une des meilleures réflexions sur la nostalgie que j’ai pu lire. Ca n’a pas été une stratégie de ma part, bien entendu !, mais je pense que ces livres sont un antidote à tous les récits de confinement qu’on a actuellement, et qui sont absolument insupportables, étouffants… Là au moins, on est ailleurs. Je ne suis pas prophète, je ne connais pas l’avenir, mais j’espère que l’image qu’on a essayé de construire au fil de toutes ces années fonctionne. Et moi ce que je veux donner, c’est de l’ailleurs. Ce genre de livre sera, je crois, salutaire.

L’édition dans son ensemble aura en effet bien besoin de livres salutaires, tant la situation est critique, non ?

Certes l’édition vit un moment très difficile : il n’y a plus de ventes. Mais on a une très grande capacité d’adaptation. Je suis beaucoup plus inquiète pour la librairie, qui est beaucoup plus fragile que pour l’édition. Je pense voir comment on pourra survivre pour continuer à publier, sans licenciements. J’ai été très influencée, vous savez, par une image qui provient du théâtre classique, de Corneille : Horace au lieu d’affronter en bloc ses adversaires fait mine de fuir pour les combattre un à un. Ca a toujours été ma position, faire un pas après l’autre. On va y aller, on va faire tout ce qu’on peut pour tenir. Et peut-être est-ce parce que je suis de nature optimiste, mais je crois qu’on va tenir le coup. Les trous d’air dans le chiffre d’affaires, j’ai déjà connu ça. L’édition va peut-être devoir restreindre ses productions, on publiera peut-être moins de livres. Et peut-être même y aura-t-il un effet rebond, comme à l’issue des grandes grèves de 1995 où après trois mois sans rien vendre, le ventes de livres ont soudain remonté en flèche. Quand le confinement aura pris fin, tout le monde voudra se précipiter sur ce dont il a été privé…

Mais vous ne craignez pas non plus un embouteillage de récits de confinement à la rentrée ?

C’est évident, mais je ne suis pas la bonne personne, ni pour lire ces textes, ni pour les publier ! J’espère quand même que l’édition ne sera pas envahie pas ce genre de récits…