Laure Leroy

Que lit une éditrice quand elle est assignée à résidence, comme c’est le cas en période de confinement ?

Je ne suis pas confinée dans mon bureau, rue du Dragon, où sont restées toutes les énormes piles de manuscrit… J’ai donc beaucoup de lecture en littérature étrangère, puisqu’elle ne passe pas par les mêmes voies, mais les manuscrits de littérature française, eux, sont restés confinés de leur côté. Mais sinon, je fais comme tout le monde, je lis la presse. Et je ne me sens pas vraiment capable de reprendre des lectures comme auparavant. Je me suis remise à  Tristram Shandy , qui est une merveille absolue, mais que je lis très lentement. Ce n’est pas un mode de lecture qui m’est habituel, en temps ordinaire, je lis plutôt très vite… Mais je ne peux pas me mettre dans ce rythme, tout mon imaginaire est préoccupé par ce qui nous arrive. 

Une autre préoccupation, plus spécialement éditoriale, ce sont les parutions programmées juste avant le confinement…

C’est toute la question, qui est assez dramatique, de la programmation. Nos livres de mars sont arrivés le 19 mars en librairie, après le confinement. Par exemple,  De la forêt , de Bibhouti Bhoushan Banerji, que je l’ai porté pendant des mois. Quant à la revue  Apulée , qui devait sortir le 24 mars, elle est chez le distributeur en attendant qu’un jour on puisse l’expédier. Et si on a décidé très rapidement d’envoyer des mails réguliers à nos lecteurs [ Une nouvelle pour échapper aux nouvelles ] via notre newsletter, c’est aussi à cause de nos livres de mars. On s’est dit qu’on ne pouvait pas continuer sans offrir de la lecture aux gens, sans partager de beaux textes. 

Et pour les mois à venir ?

C’est très compliqué. Que se passe-t-il pour les titres qui devaient paraître en avril, en mai ou en juin ? Ils sont dans une sorte de non-zone. On en a reporté la moitié, mais l’autre moitié ? Est-elle encore viable ? Va-t-elle trouver un espace pour toucher des lecteurs ? Quand et dans quelles conditions les librairies vont-elles rouvrir ? Tout est tellement incertain, on ne sait pas trop si on doit sortir ces livres, s’ils sont mort-nés… Et quant à la rentrée littéraire, c’est un futur tellement éloigné, tellement irréel… Oui, on va communiquer sur la rentrée littéraire comme si elle allait parfaitement se dérouler, mais, honnêtement, je ne sais pas. Je me pose la question chaque jour…

C’est toute l’édition qui est prise dans cette crise. Est-ce une tempête de plus à essuyer dans un secteur qui en a connu beaucoup, ou est-ce plus grave ?

C’est une crise très très sérieuse. La profession la surmontera, mais j’espère qu’il n’y aura pas trop de casse… J’ai un peu de mal à dire ça parce que Zulma a un mode de publication très sobre, mais la vraie question, et ce qui permettrait de limiter la casse, ce serait de sortir de la surproduction délirante.

La crise aurait donc au moins un effet bénéfique de ce point de vue-là, elle inciterait à donner un coup de frein ?

Je n’y crois pas tout à fait, mais ce serait bien ! Mais est-ce que, la crise passée, les choses et les gens vont vraiment changer ? Je ne sais pas, mais, là encore, j’aimerais bien…