thunder roadThunder Road comme l’hymne de Springsteen aux éclopés US qui caressent encore les fragments d’un rêve brisé d’évasion. Mais Thunder Road aussi comme le tonnerre, comme les déflagrations annonciatrices d’orages, de trombes d’eau qui emporteront tout, inonderont tout. Car le film de Jim Cummings est le grossissement – comme on dit que la pluie grossit les flots d’un cours d’eau – d’un court qui avait fait forte impression en 2016, à Sundance. Mais surtout, Thunder Road est un film en perpétuel débordement, qui brise sans cesse ses vannes. Ne serait-ce que parceque Jim Cummings est un one-man-Hollywood à lui tout seul : réalisateur, acteur principal, scénariste, il fait sauter toutes les cloisons. Dans la première scène, ce long plan d’une dizaine de minutes qui le montre, sous les traits de Jim Arnaud (flic lambda de l’Amérique profonde), prendre la parole lors de la cérémonie funèbre précédant l’enterrement de sa mère, il monopolise tout le spectacle et toute notre attention. Moment magistral où alternent, comme un flux et un reflux, le malaise et l’hilarité, dans ce qui ressemble autant à la prouesse d’une performance qu’à du cinéma stricto sensu. Une crainte, à ce stade, c’est que le film, ainsi magnétisé par son auteur-acteur, ne soit justement phagocyté. Mais Cummings déborde de nouveau ; se déborde. A la suite de ce morceau de bravoure inaugural, le film suit le quotidien de plus en plus bancal de Jim. En plein divorce, il cherche péniblement à trouver le bon terrain d’entente, le bon ton avec sa fille, Crystal. Cummings sait décentrer son film de Jim. Justesse du portrait de Crystal, qui dose subtilement l’amour filial et l’exaspération boudeuse que les adultes peuvent susciter…

Rien de psychologique ici, au sens où Jim serait réductible à la douleur du deuil de la mère ou aux angoisses du mâle viril confronté au rôle de père. Jim est de l’espèce des furieux de la tragédie antique. De ceux chez qui les émotions et les affects sont insolubles par l’analyse. De ceux chez qui quelque chose enfle, monte, brise tous les barrages, avec une puissance qui n’a plus rien d’humain – comme ce qui submerge Médée, ce qui engloutit Phèdre. Et qui, chez Jim, se manifeste dans la langue. Dans cette parole qui se débonde, s’emballe, semble entraînée par son propre mouvement, comme dans la scène de l’oraison funèbre.