Le ciné-Erasmus, on connaissait déjà, une formule bien rodée, mûrie en serre juvénile par notre Klapisch national: télescopage cocasse des particularismes, amourettes transnationales, le tout carburant à l’énergie centrifuge du dépaysement. Mêmes prémisses et variation formellement léchée chez Sebastian Schipper et son ovationné Victoria: une mignonne Ibère, faussement fragile, croise la route d’un petit club des quatre de sympathiques pieds-nickelés dans un Berlin blêmi par les clairs-obscurs de la nuit éthylique, électrique et désoeuvrée où nos slackers prolos traînent leurs baskets. Schipper accouche d’un dispositif ultra-réaliste (caméra portée, unique plan-séquence, raboutage de scènes qui semblent éclore aléatoirement, sous l’empire du hasard) qui réactive et remobilise tous les marqueurs formels d’un cinéma en liberté, en prise avec le pouls de la ville, les pulsations des sentiments et le rythme apparemment désinvolte d’une longue dérive nocturne. C’est la trame, volontairement lâche, qui donne sa texture un peu longuette et un peu datée à la première partie, ce genre de balade urbaine faisant au moins depuis la Nouvelle vague, confortablement partie des meubles. Mais il suffit que Schipper injecte sans crier gare une dose de tarantinerie (malfrat caricatural, rendez-vous dans un parking, hold-up d’amateurs sur la sellette entre bouffonnerie et drame) pour que le film change de régime. la rhétorique formelle réaliste se frotte soudain à ce qu’il y a de plus factice et de plus codé: le “genre”. Résultat: un étrange hybride, joliment déconcertant, qui sans y toucher brasse de grandes questions de Théorie avec un grand T sur la fiction, l’effet de vrai, l’illusion réaliste et ses limites. Pas sûr qu’on soit tous des Berlinois à l’issue du film, mais Victoria remporte une petite victoire…