hostilesOn a beau dire : le western a la peau de cuir bien tannée. Les années passent, le genre résiste. On l’a dit mort et enterré dans les années 80 après l’échec ruineux de La Porte du paradis de Michael Cimino, il a toujours su renaître de ses cendres sous de multiples dénominations : crépusculaire, moderne, postmoderne, parodique, horrifique et musical. Et contrairement à un cliché, véritable marronnier des critiques, qui voudrait que le genre soit en déshérence, il n’a jamais autant prospéré qu’au cours de ces fécondes années 2010. Quentin Tarantino, maître des refaçonnages de genres, en a réalisé deux, coup sur coup : Django Unchained et Les 8 Salopards, inspirés par le western spaghetti. Les Coen ont ouvert la décennie avec l’incroyable True Grit, plus gros succès de leur carrière, et remake de Cent dollars pour un shérif (1969) de Henry Hathaway. Quant à Alejandro Gonzalez Inarritu, récipiendaire de toutes les récompenses hollywoodiennes, il a ajouté trois statuettes à sa carrière avec The Revenant qui empruntait beaucoup au Convoi Sauvage (1971) de Richard C. Sarafian, voire plus si on en croit certains historiens comme Gilles Havard qui tiennent le film pour un « remake déguisé » de l’original.
Cooper, à qui on devait déjà le remarquable et musical Crazy Heart, paraît donc ici inventer à partir d’une histoire vieille comme le genre, sans rien de tapageur. 

Le voyage immobile

Cette histoire, c’est celle en 1892, deux ans après le massacre de Wounded Knee où deux cents cinquante Sioux furent tués, du Capitaine Joseph J. Blocker (Christian Bale) qui prit part à ces évènements. Il est chargé par ses supérieurs de convoyer depuis le Nouveau-Mexique Yellow Hawk, un chef de guerre cheyenne mourant, ainsi que sa famille, dans ses terres tribales du Montana. Qu’importe les raisons hypocrites du gouvernement, sur le point d’enfermer dans des réserves les quelques deux cents cinquante mille Amérindiens demeurés vivants (ils étaient environ onze millions à la fin du XVe siècle quand les Européens ont débarqué). En professionnel, et malgré sa haine pour les Amérindiens qu’il a combattus, notamment à la défaite de Little Big Horn en 1876, Blocker accepte sa mission. 

Hostiles suit donc le trajet à travers le pays d’une chevauchée d’hommes qui ont jadis combattu les uns contre les autres. Le western a toujours été le genre du déplacement, du mouvement. Il permet de suivre la façon dont la Frontière a sans cesse reculé vers l’Ouest et la manière dont les hommes se sont approprié un territoire à bâtir. Ici, il s’agit moins de prendre en compte ce mouvement à travers la succession traditionnelle de bivouacs joyeux et de chevauchées fantastiques que de décrire un long voyage immobile. Peu de westerns se sont montrés aussi peu aventureux et dynamiques, que cet Hostiles. Le montage ne joue pas de l’alternance de registres, de vitesses ou de tons. Au contraire, le film avance comme s’il piétinait, lentement, dessinant au fil de sa route quelque chose de plus intérieur, de moins épique qu’à l’accoutumée. 

Refuser la vengeance

La première séquence d’Hostiles à ce titre est trompeuse tant par la sécheresse de son montage que par sa violence crue. Le film s’ouvre sur une scène d’horreur que l’on croirait sortie d’un film de Sam Peckinpah (lequel a souvent démarré ses oeuvres sur des séquences de massacres insoutenables). Une femme (étonnante Rosamund Pike, inoubliable dans Gone Girl de David Fincher) voit sa famille se faire massacrer par des Amérindiens. Comme dans tant de westerns classiques, on les voit d’abord apparaître devant une maison isolée de l’Ouest. Comme dans un western classique, ils n’ont pas de visages. Ce sont les ennemis. Point. Sans sommation, ils tuent le père devant ses deux filles, abattues juste après. La mère fuit ses agresseurs avec dans les bras son nourrisson dont on finit par distinguer le lange taché de sang. Image traumatique, peu vue, taboue, et qui semble dessiner d’emblée ce que devrait être le film mais qu’il ne sera pas : un revenge movie. Au contraire, le film prendra le parti d’un possible apaisement, d’un refus de la vengeance froide. Et c’est justement cette femme qui est la première à s’interdire de prendre les armes. Comme récemment dans 3 Billboards, le film s’articule ainsi autour d’un personnage féminin qui tentera de juguler son propre désir de vengeance. Pour, ainsi, apaiser l’esprit tourmenté des hommes qu’elle accompagne et endiguer une violence endémique. 

Le drame intérieur

Il se trouve que les Amérindiens qui ont tué cette famille sont des Apaches. Ce sont les ennemis de cette famille de Cheyennes que convoie Blocker. Aucun manichéisme dans Hostiles, pas de blocs monolithiques, Blancs d’un côté, Amérindiens de l’autre. Peu de westerns ont montré avec autant d’évidence que les tribus ne sont pas les mêmes, que les intérêts des Amérindiens ne s’unifient pas en un seul mouvement et que deux ennemis historiques (les colons et les Cheyennes) pouvaient parfois se liguer contre un ennemi commun. Les Crows détestaient les Black Feet ou les Siksikas.

Donc, si le western a plus le vent en poupe qu’au cours des deux précédentes décennies, si Clint Eastwood et Kevin Costner (auteur du remarquable Open Range) n’en sont plus les derniers héritiers, les quelques films qui subsistent encore empruntent, volent ou détournent leurs modèles plus ou moins revendiqués. Vous me direz que tout cela est parfaitement normal, qu’un genre ancestral comme le western, né avec le cinématographe, ne peut être que transformé de l’intérieur, copié et modelé, avec des variations comme les jazzmen avec les standards. Si Hostiles décalque quelques plans de La Prisonnière du désert de Ford, le film paraît néanmoins neuf comme si Cooper essayait d’inventer un western d’un genre et surtout d’un ton nouveau. Scoot Cooper, à qui on devait déjà le remarquable et musical Crazy Heart, paraît donc ici inventer à partir d’une histoire vieille comme le genre, sans rien de tapageur.

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