bande de filles

Extérieur nuit. Glacis des lumières artificielles. Corps caparaçonnés, tenues rembourrées, entre la coquille et la chrysalide, casques comme des exosquelettes. Mêlées, collisions, courses. Ballet futuriste stylisé d’une bataille SF ? Non – rencontre de foot US en nocturne. Et manifeste visuel, en guise d’ouverture, et en quelques plans, du cinéma de Céline Sciamma et de cette Bande de filles qui a fait chavirer les festivaliers de la dernière édition de Cannes. Transportés, électrisés, comme devant un match culte. Car c’est bien de cela qu’il est question, chez Céline Sciamma : de jeu. Du beau, du grand jeu. Avec feintes et passes latérales, car Céline Sciamma filme en tacticienne aguerrie, et sait prendre le contrepied. Jouer de nos attentes. Du foot américain – mais sur un terrain de banlieue française. Des silhouettes de mastards sous les maillots capitonnés – mais ce sont des filles à la manoeuvre, derrière le ballon. Fin de partie, les Amazones exultent, se congratulent, et regagnent leurs pénates. En civil, maintenant. Brouhaha des conversations. Le groupe, encore en proie à la fièvre de l’après-match, traverse une passerelle dans la nuit. Des mecs désoeuvrés apparaissent. Extinction des voix des filles. Dispersion du groupe. Game over, fini de jouer, retour à la Loi. Celle des sexes et du silence, de la soumission et du profil bas. Si le groupe s’est égaillé, il en reste une. Elle occupera tous les plans du film. C’est Marieme (Karidja Touré, inconnue déjà chargée d’aura, aux traits plastiques, tour à tour enfantins, durs ou obsédants de beauté). C’est une minorité à elle toute seule, au carré, voire au cube : Black, jeune, fille, banlieusarde. Bande de filles va montrer comment elle se débrouille de tout ça : en jouant. En endossant une à une les identités qu’on lui propose/impose. Le moi comme un carnaval intime. Il y a la bonne fille, qui veille sur ses petites soeurs, joue les mères par procuration. Il y a la Juliette de la cité, amoureuse d’un Roméo interdit – un copain de son grand frère, avatar de l’autorité paternelle. Et surtout, il y a la gangsta girl. Car Marieme tombe sur trois autres filles : verbe haut, classe de voyou, rires comme des fusées libératrices. Fortes en gueule et en poings. Un cocon de cogneuses où elle se coule. Escapade aux Halles, clash avec d’autres « meufs », parenthèses d’insouciance (une partie de mini-golf, filmée avec autant de tendresse pour les filles que de sens dramaturgique). Marieme est rebaptisée. Elle est Vic, maintenant. Comme Victoire.

Illustrations Marc-Antoine Coulon

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