HAPPY PRINCEOscar Wilde meurt en 1900. La première année du siècle qui fut celui du cinéma. Comme un passage de relais symbolique entre celui qui fut l’homme du bon mot, l’incarnation du « wit », cet esprit acide, vipérin et cruel, cette rhétorique de la fusée, et l’art de l’image mobile. Une conjonction que noue avec un rare brio Rupert Everett pour la première fois derrière la caméra. Splendeur ténébriste des plans, comme un Georges de La Tour sépulcral, qui se déroulent en flashback, depuis les derniers jours de Wilde, loqueteux fantôme de lui-même échoué dans une turne miteuse à Paris. Rupert Everett, qui ressemble un peu à une version anglophone du Léaud de La Mort de Louis XIV, donne à son Wilde quelque chose d’un Lear : magnifique et pathétique, seigneurial et bouffon, bouffi et pourtant étrangement beau. Tantôt triomphant, lâchant ses traits acérés, tantôt Christ aux outrages noyé sous l’opprobre, Wilde suit son chemin de croix entrecoupé d’éclats de lumière. La croix, c’est le scandale de l’homosexualité, la prison, la fuite en Europe sous le pseudo de Sebastian Melmoth. Les jaillissements de lumière, ce sont bien sûr les apophtegmes de Wilde comme des éclairs (allez, un pour la bonne bouche : « J’ai épousé saint François et la pauvreté, dit-il à bout de ressources, mais le mariage n’a pas été heureux »). Mais c’est aussi la beauté radieuse, radieuse et blessante comme le soleil, de son amant, Alfred Douglas, son « Bosie » (Colin Morgan, et sa perfection plastique insolente d’ange de la Renaissance italienne, quelque part entre Helmut Berger et Alain Delon à leur plus apollinien).

The Happy Prince est un livre d’images. A condition d’entendre l’expression au sens le plus fort. Non seulement parce qu’il mêle le verbe de Wilde et des séquences soignées jusqu’à la perfection picturale. Mais surtout parce que Rupert Everett n’oublie jamais qu’il parle d’un écrivain. Et que Wilde, sous le vernis de frivolité caustique, sous les clichés du dandysme auxquels le réduit trop souvent la postérité est d’abord et avant tout un écrivain. Et de quelle eau ! Relisez sa Salomé, écrite en français, ou cette merveille qu’est La Ballade de la geôle de Reading. Un écrivain donc, un homme pour qui les mots sont et peuvent tout. Et c’est bien ce que donne à voir le film : les images sont moins des enluminures plaquées sur la vie de Wilde que des émanations de ses propres mots. Il suffit de repenser au début. Noir à l’écran. Une voix flotte sur cette absence d’image. Celle de Wilde qui raconte un de ses plus beaux textes, un conte merveilleux comme une légende dorée, poignant, qui donne son titre au film. Wilde raconte, l’image apparaît. Le film peut commencer. Comme si ce n’était pas un film de Rupert Everett, mais de Wilde lui-même. Ultime manifestation de son légendaire goût du paradoxe : le personnage prend la place du réalisateur…