trois gds fauvesHugo Boris signe avec Trois grands fauves, un triptyque de monstres : Danton, Hugo, Churchill. Trois légendes prises à l’instant de la faiblesse.

Fauves, ces hommes-là le sont de toute évidence. Mais ils ont aussi le point commun d’avoir été des hommes considérés, au cours de leur existence, comme des fauves. Que signifie pour un individu de devoir être à chaque instant de sa vie à la hauteur de la légende qu’on lui a assignée ? Que signifie pour un écrivain de romancer l’homme qui vivait dans l’habit d’une légende ? C’est entre ces deux interrogations que se déploie la subtilité du livre. En racontant quelques épisodes de la vie de chaque « fauve », il cherche à déceler les infimes vertiges qu’ils ont pu connaître, les instants où ils vacillent face à la légende.

Danton est ainsi montré à la montée des marches de l’échafaud, scène mythique que Boris ne craint pas de raconter du point de vue du condamné, du point de vue d’un homme qui, jusqu’au bout, refuse de croire à son propre destin. « Il ne sait pas mourir », écrit sobrement Boris. Hugo, lui, est saisi après la mort d’Albertine, aux heures de la puissance littéraire, mais de la solitude affective. Il n’est presque jamais question de littérature dans ce portrait, seulement de gestes, et même de gesticulations, grotesques ou séniles, d’un vieil homme las de sa propre gloire. Churchill est lui aussi saisi à l’heure du doute face à sa propre image combattante.

Ce rapport entre un individu et sa légende, c’est ce qu’avait exploré Pierre Michon dans Corps du roi. Il y rappelait que le corps légendaire, immortel, du roi était celui que le texte venait sacrer, alors que la dépouille mortelle allait à la charogne. Il proposait de renverser cette hiérarchie-là, et de redonner au corps charnel du roi (sous sa plume, les monarques se nommaient Shakespeare ou Joyce), une existence littéraire. Hugo Boris obéit à cette injonction en mettant en scène les corps prêts à mourir de Danton, Hugo et Churchill, terrifiés par la mort à venir. Les fauves, hésitant à pénétrer dans la dernière cage.