tonnerrePremier long métrage d’un jeune cinéaste à la cote qui grimpe, Tonnerre est un drame d’amour et de neige. Et le portrait d’une âme gelée.

 

Il y a des lieux qui semblent vraiment mal porter leur nom. Dans l’est de l’Yonne, nichée dans une nature tranquillement bourguignonne, se dresse la bourgade de Tonnerre dont on peut deviner, en quelques plans, le calme plat qui y règne à longueur d’hiver. Guillaume Brac, réalisateur du très remarqué moyen métrage Un monde sans femmes, réinvestit les éléments ayant fait le succès dudit film estival : un ancrage très fort dans un paysage précis ; l’utilisation du 16 mm, dont le grain est plus fragile et plus doux que celui du 35 mm ou du numérique ; la convocation d’acteurs amateurs, habitant le lieu de tournage. Et Vincent Macaigne, ami de longue date et alter ego partiel du cinéaste, endosse à nouveau le premier rôle. Si la comparaison est si tentante, au-delà de l’attente créée dans le paysage cinématographique français par Un monde sans femmes, c’est aussi qu’il s’y traite, sur un mode extrêmement différent, du même problème : de quelle manière est-on amoureux lorsque l’on est un homme communiquant difficilement avec l’autre sexe ? Mais dans Tonnerre, la comédie laisse place au drame, comme l’été a laissé la place à l’hiver.

La douceur apparente de Tonnerre s’installe d’abord avec le retour de Maxime, un jeune rocker mélancolique (Vincent Macaigne), à Tonnerre où vit son père (Bernard Menez, en plein retour en grâce via les jeunes admirateurs de Rozier). Son coeur est aussi enneigé que la petite ville, mais il tombe vite amoureux d’une fille plus jeune que lui : Mélodie (Solène Rigot), dont Maxime découvre qu’elle n’est pas sortie de sa précédente relation avec un footballeur de son âge. Elle quitte le musicien sans explication, comme l’inspiration qui s’en va (il n’y a qu’à voir son nom), lui préférant le footballeur. La douceur et le calme initiaux laissent alors place à la jalousie et, peu à peu, au thriller amoureux. Car sous la neige est tapie la violence, pas assez engourdie pour ne pas refaire surface et emporter le film avec elle. Pour trouver les remous et les grondements de la ville autant que de son personnage, Guillaume Brac filme les souterrains, où se posent les jalons principaux du drame. Le premier baiser a lieu dans les sous-sols de la ville à l’aura magique, sous une pharmacie. La scène prend des allures de conte. Puis, la rencontre avec l’arme de la vengeance a lieu dans l’intimité d’une cave de maison, alors qu’un habitant explique à Maxime comment il a failli, avec cette arme, se donner la mort. Le personnage, interprété par un acteur amateur, donne à cette scène la présence d’un documentaire. Enfin, lorsque la jalousie a fait chavirer le film, la vengeance de Maxime se déroule dans un parking souterrain aux lumières blafardes et est filmée avec le grain et le mouvement d’un polar réaliste.

Comment ces revirements dramatiques et esthétiques parviennent-ils alors à s’accorder au trajet psychologique du personnage ? Le réalisateur joue avec les variations d’éclairage (du bleu enchanteur au blanchâtre terrifiant) pour traduire l’évolution des états d’âme de Maxime et du film. Car le paysage et les décors, ici, ne jouent pas tant le rôle d’un ancrage topographique réaliste que celui d’un révélateur : Tonnerre, avec ses rues médiévales et son lac gelé, se compose comme un récit romantique allemand, et les décors entretiennent un lien privilégié avec la psyché du personnage. Cette connexion très nette entre le personnage principal et le monde que crée le film autour de lui explique sans doute la dimension un peu restreinte des autres personnages, et notamment de la femme aimée. Mélodie entre dans le monde (autant intérieur qu’extérieur) de Maxime, jamais l’inverse. En cela consiste le drame de Maxime, laissé en bout de course seul face à ce constat : prisonnier d’un hiver permanent, il est condamné à voir l’objet de son amour lui échapper constamment, faute de pouvoir en saisir le paysage intérieur.

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