mon filsDepuis trente ans, et jusqu’à Zaytoun son précédent film sorti en 2014, Eran Riklis tente moins de comprendre que de dénouer les impasses des relations israélo-arabes, quitte parfois à rentrer dans le lard de ses concitoyens. Belle ambition ! Sous couvert de grands messages pacifistes, le cinéaste se sert en réalité du cinéma pour tenter des expériences de réconciliation. Sa fiction, des récits en fait extrêmement ténus et didactiques, lui sert de terrain d’expérimentations politiques. C’était déjà le cas avec La Fiancée Syrienne qui l’a fait connaître en France. Puis avec Les Citronniers, ce conte moderne où une palestinienne attaquait en justice le premier ministre israélien qui voulait couper son bel arbre par mesures absurdes de sécurité. Il y avait du Giono dans cette chronique pacifiste mais violente, lucide et candide à la fois. On songeait à Jaufroi de la Maussan, cette nouvelle des Solitudes de la Pitié mise en images avec trop de légèreté par Pagnol. Même anecdote rendue tour à tour poignante, tragique et en fin de compte universelle par subtiles nuances de comédie et de beaux portraits intimes de deux femmes à priori antagonistes. Contre toute attente, avec un certain panache, Riklis envisageait une alliance politique au féminin, une paix par les femmes, n’ayant jamais caché son admiration pour ces dames dans chacun de ses films. C’est également le cas dans Mon Fils, adapté de deux romans de l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua.


Riklis retrace le parcours d’Iyad, jeune Arabe habitant en Israël qui intègre à 16 ans un célèbre internat juif de Jérusalem. Riklis étale son récit sur dix ans, de l’enlisement israélien au Liban en 1982 à la Guerre du Golfe qui laissa des traces profondes dans la société. C’est un récit initiatique, celui d’un jeune garçon qui de son village à la ville va découvrir les inégalités, les difficultés à s’intégrer mais surtout l’amour, l’amitié et en fin de compte le dévouement. Iyad va surtout parvenir à s’intégrer auprès de ses amis juifs, au point de s’inventer une autre famille, un destin bien à lui.


Dans la première partie, il y a vraiment quelque chose de pittoresque et de léger, inédit du cinéma de Riklis. On suit le quotidien du petit village israélo arabe avec son instituteur sévère, son épicier, ses jeux dans les cafés. Le père d’Iyad est un ancien combattant, il a sa fierté, ses amis, ses souvenirs. Riklis a l’art de savoir faire revivre une époque, par des détails incongrus, des dialogues décalés. « Tu seras le premier palestinien à construire une bombe atomique » s’écrie le père d’Iyad quand celui-ci lui explique être le premier arabe à avoir été accepté dans sa prestigieuse école. Dans cette partie, il y a quelque chose de l’écrivain ou du cinéaste méditerranéen : une même façon de rendre le quotidien bouleversant, de recréer des souvenirs à l’écran, de donner un ancrage plus fort, plus pertinent à son jeune héros. Et on songe parfois à Scola.


Puis Iyad part à Jérusalem où le film se fait véritable récit d’apprentissage des amours interdits, de l’intolérance surtout puis de l’intégration. Le message de paix, d’harmonie pourrait gripper, étouffer le film si le cinéaste ne faisait bifurquer son récit vers un ailleurs surprenant et une fin plutôt décapante et culottée. Avec Mon Fils, Riklis lance une hypothèse : celle de l’intégration familiale, du choix d’une double vie comme solution politique. S’inventer une autre famille, se façonner son propre destin. Drôle d’hypothèse! Là, encore, par art de la nuance farfelue noyée sous le grand message, le tract politique, Riklis bouscule les idées reçues. A sa façon, il fait avancer le débat. Tel est l’art étrange, un rien machiavélique de ce cinéaste israélien qui dissimule ses tentatives politiques, ses utopies sous la limpidité de son message.