parokiaOn le sait dès l’incipit: Joël, le juvénile héros de ce roman, deviendra parfumeur de génie, l’un des plus grands “nez” de France. A vingt ans sa première émotion olfactive est l’odeur de l’ambre solaire, huile à bronzer, jus cheap, élixir magique et enivrant, inventé avec les bikinis et les congés payés. Il l’a reniflée sur la peau d’une fille, évidemment: celle de Liliane, la vingtaine jubilatoire, soeur jumelle de Gilles. Tombé en dépendance, Joël ne lâche plus ce couple singulier. La jeunesse se prélasse sur la Côte d’Azur. L’époque est à l’insouciance,aux excès de vitesse et aux parties de bridge. Daniel Parokia capture avec génie ce temps suspendu au seuil des Trente Glorieuses, par la grâce d’une multitude de détails charmants: c’est le temps des« vedettes», des élections de« Miss Canadel », des verres de Cam pari, des transistors à piles, des parents en maillots et des oeufs en gelée. Mais les signes du temps, si séduisants qu’ils soient, forment autour des personnages des cercles dont il semble impossible de s’extraire pour grandir. Peut-on survivre à son état de grâce? Un plongeur sort le corps d’une adolescente noyée dans la Grande Bleue. La plage frissonne et puis oublie. Joël y voit un mauvais présage. Evelyne, la jeune cousine des jumeaux, rejoint la troupe. Elle est mal accueillie. C’est aussi letempsdu sadisme etde l’indifférence. Evelyne voudrait être l’aimée. Elle ne sera que la première dauphine. Les coupés filent sur les routes en lacets. On va jouer à Monaco la tirelire du souffre-douleur. Joël est un mufle. Liliane est une garce. Evelyne pâlit sous ses huiles à bronzer. Les jeunes gens montent à bord d’un voilier. Le roman est une tragédie déguisée en bluette pour demoiselles en robes vichy. Les volants de leurs jupes légères se prennent dans les rayons du soleil comme dans les roues d’une bicyclette. Nerva lien, le texte est porté par une lucidité déconcertante, obscurci par l’ombre intrusive ettenace de la mort. Les épidermes grillent au soleil, au feu duquel chacun finira, d’une façon ou d’une autre, par partir en fumée. Sous le velours des vies se forment des carcinomes malins: les destins sont malades avant que d’exister. Les deux dernières phrases du livre, magistrales, sont un terrible coup au coeur. Le reste, un délicat empoisonnement des sens, un aveuglement progressif et mortel, provoqué par l’abus de lumière et le rempart trompeur d’une huile aux senteurs de paradis dont on comprend trop tard qu’elle n’était que toxines. Avant de rejoindre le grand soleil dresse une sépulture à un monde perdu, hanté par le chant des cigales.

Avant de rejoindre le grand soleil
Daniel Parokia
Buchet/Chastel