Que viva Eisenstein ! est une bonne surprise. C’est avec une curiosité teintée de scepticisme que l’on embarquait dans le nouveau film de Peter Greenaway, cinéaste ô combien inégal dont les dernières livraisons, La Ronde de nuit (2008) et surtout Goltzius et la Compagnie du Pélican (2014), donnaient l’impression d’un style dévitalisé. Le sujet de ce nouvel opus, soit le séjour au Mexique en 1931 du mythique Sergueï M. Eisenstein, à l’occasion du tournage de Que viva Mexico !, redoublait évidemment l’inquiétude initiale. Par quel bout Greenaway allait-il prendre le « sujet » Eisenstein ? Se concentrerait-il sur son art, en le montrant d’abord au travail, dans sa fonction de metteur en scène, ou sur sa vie, notamment sa sexualité ?
Si la première option n’est pas totalement éludée, de rares séquences étant consacrées à la préparation d’un film qui restera inachevé, c’est sans conteste la seconde qui motive profondément le projet. Que viva Eisenstein ! sera d’abord et surtout une histoire d’amour et de sexe. À son arrivée au Mexique, Eisenstein fait la connaissance de Palomino Cañedo, son guide. Entre les deux se noue une complicité, quand bien même le Mexicain se révèle un homme marié et père de famille, bien sous tous rapports. On connaît le goût de Greenaway pour le déshabillage des acteurs au sens propre (exposition de leur anatomie) et figuré (outrance de jeu toute théâtrale). Et on se doute, pour parler crûment, que l’ami Sergueï passera tôt ou tard à la casserole.
La représentat ion de cette relat ion homosexuelle, et donc de la sphère privée d’Eisenstein, est bien l’enjeu du film. Un jour qu’ils partagent le même lit, Cañedo, supposément très straight, ne tarde pas à se déshabiller totalement sous les yeux de son client. Son but : aider le cinéaste à s’aimer, lui révéler le potentiel érotique de son corps. Dans les premières séquences, Eisenstein se révélait volontiers exhibitionniste, prenant son bain et se baladant à poil sous les yeux du personnel de son hôtel. Mais cette nudité et cette décomplexion étaient celles d’un grand enfant provocateur, un histrion régressif. Nu à son tour, devant Palomino, Eisenstein découvre une certaine gêne, intimidé par l’aisance de ce guide disposé à devenir immédiatement son amant.
Le passage à l’acte est filmé avec une frontalité (érection de Cañedo avant sodomie d’Eisenstein) peu surprenante de la part de l’auteur de The Pillow Book (1996), mais plus ambitieuse que d’ordinaire : Greenaway dénude littéralement un mythe. Donner la priorité à la vie sexuelle d’Eisenstein plutôt qu’à sa méthode singulière de cinéaste signifie moins pour Greenaway nier le mythe que lui accorder un corps, de la chair, une pure présence. Dans cet emploi, le Finlandais Elmer Bäck en impose. Massif, donnant du mouvement à des plans majoritairement larges ou moyens, composés comme des tableaux, il redonne, avec son excellent comparse Luis Alberti, une nouvelle vitalité au cinéma de Greenaway.